Paléontologue : Mary Anning
Regardez-la : engoncée dans un manteau à manches gigots d’une décence absolue, le visage auréolé par une capeline très chaste, un noeud sous le menton et un panier sous le bras, Mary Anning ressemble à n’importe quelle paysanne anglaise se rendant au marché en ce début de XIXème siècle. Un seul détail ne colle pas : le piolet qu’elle serre dans son poing.
Paléontologue : Valérie Masson-Delmotte
Regardez-la : elle est penchée sur une des longues carottes de glace qu’elle est allée chercher elle-même au fond du Groenland.
Peintre :
Dans la foule des chefs d’oeuvre réalisés par des femmes peintres, regardez d’abord la Beatrice Cenci d’Elisabeth Sirani. Elle vous dit quelque chose, n’est ce pas ?
Oui, sa douceur rêveuse rappelle la Jeune fille à la perle de Vermeer, peinte quatre années plus tard.
Ensuite, passez au Judith décapitant Holopherne d’Artemisia Gentileschi. C’est moins doux, non ? Mais ça a du corps.
La ferme à l’entrée du bois de Rosa Bonheur sent le foin tiède.
La toilette de Mary Cassatt est d’une beauté japonaise.
Tout Berthe Morisot est à se rouler par terre (pour peu que vous ayez du goût pour les impressionnistes.).
Suzanne Valadon est plus grinçante.
Dans la salle suivante, vous trouverez Marie Laurencin et ses femmes aux longs yeux morts (vous les avez déjà croisées, c’est certain),
Tamara de Lempicka et ses femmes aux grands yeux lourds (pareil),
les couleurs circulaires de Sonia Delaunay (encore pareil),
le corps supplicié de Frida Kahlo,
les chairs flambantes d’Emilia Castaneda,
les paysages tortueux de Leonor Fini,
et de Dorothea Tanning.
Il y a aussi du Nikki de Saint Phalle luisant comme s’il avait plu (toujours pareil),
et un peu de Jeanne Hébuterne et de Dora Maar. Du moins, ce qui a survécu au suicide ou à Picasso.
Peintre : Elisabeth Vigée-Lebrun
A 21 ans, mademoiselle Vigée est très courtisée. « Plusieurs amateurs de ma figure me faisaient peindre la leur », écrira-t-elle.
Allez plutôt voir sa Julie au bain. Elle est adorable.
Sa Princesse Narychkine est plus grave – à mon avis, Modigliani et Marie Laurencin ont admiré un jour ses longs yeux impavides.
Le portrait du petit dauphin Louis à trois ans, âge où il déclare la tuberculose qui l’emportera, est touchant.
Peintre : ORLAN
Fin 70, elle s’expose à l’entrée de la FIAC (Foire Internationale de l’Art Contemporain) où elle vend ses baisers pour 5 francs. Regardez-la assise derrière une photo de son buste nu. Elle harangue les passants : « Cinq francs, cinq francs pour un baiser d’artiste, approchez ! » Les pièces sont recueillies au niveau du pubis, dans un petit panier triangulaire. L’appareil rend la monnaie.
Au début des années 90, ORLAN sort son Manifeste de l’art charnel. Puis elle entame une série d’opérations esthétiques sur son propre visage, en direct et les yeux grands ouverts face à la caméra. L’objectif ? Cumuler tous les canons de beauté occidentaux. Dans une débauche de sang et de bétadine, parfaitement consciente, ORLAN se fait faire le nez de La Joconde, la bouche de la Vénus de Botticelli et autres attributs classiques. Pour finir par deux bosses au dessus des sourcils, plus futuristes. La raison de tout ça ? Démontrer par l’exemple et par l’absurde les contraintes imposées au corps, féminin surtout.
L’oeuvre d’ ORLAN que je préfère, c’est un tableau inspiré de Courbet – vous savez ? L’origine du monde. Ce portrait très réaliste du bas-ventre d’une femme a été réalisé en 1866. En 1989, ORLAN peint le bas-ventre d’un homme exactement dans la même pose et le même style. Les cuisses sont légèrement écartées, le sexe repose sous le pli du ventre, le nombril est un vallon ensoleillé, un peu de linge froissé borde les tétons. ORLAN intitule son œuvre L’origine de la guerre. C’est simple, c’est sobre, c’est évident.
29 comments for “Le guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses”