Héroïne : Geneviève de Gaulle-Anthonioz
Elle entre en résistance dès juin 40 et en 43, c’est l’arrestation dans une librairie de la rue Bonaparte, à Paris – sur dénonciation. Aux Allemands, elle donne son vrai nom : de Gaulle. Elle est envoyée à la prison de Fresnes, puis au camp de Ravensbrück. Sur le quai du départ, à l’appel de son nom (« De Gaulle, Geneviève ! »), les mille autres déportées applaudissent : les nazis lâchent leurs chiens. Ravensbrück, c’est difficile à dire. De Gaulle-Anthonioz en dira quelque chose pourtant, longtemps après, dans La traversée de la nuit (Ed. Seuil, 1998).
Héroïne : Malala Yousafai
Jour après jour, Malala dénonce les agressions des talibans. Son blog devient vite célèbre, les menaces pleuvent mais elle s’en moque : « elle disait toujours que nous devions faire quelque chose pour l’éducation des filles et elle n’avait pas peur de mettre sa vie en jeu pour ça », dit son amie Kainaat Riaz.
Historienne : Hélène Carrère d’Encausse
A cinquante ans, Carrère d’Encausse est une soviétologue distinguée. Or, il faut se souvenir qu’à l’époque le Grand Satan, celui qui va faire exploser la bombe et venir jusque dans nos bras égorger tout ce qui bouge, c’est l’URSS. Carrère d’Encausse connait par coeur l’empire soviétique et elle en parle bien : c’est rassurant. En 78, elle sort L’empire éclaté, dans lequel elle prédit la fin du régime : c’est très rassurant. L’ouvrage est un succès. Et quand, dix ans plus tard, l’URSS s’effondre vraiment, pour Carrère d’Encausse, c’est un triomphe !
Historienne : Michelle Perrot
Et en 1990, après « un travail d’infinies précautions, trois ans durant, dans une atmosphère aussi sérieuse que bouillonnante », l’Histoire des femmes en Occident est publiée. Cinq tomes trapus pour retracer 2000 ans d’histoire sur lesquels régnaient jusqu’alors un « étrange silence ». Le succès est immédiat.
Informaticienne : Ada Lovelace
Nous sommes en 1835, Ada a 20 ans : elle se marie avec le comte Lovelace et lui fait au plus vite trois enfants. Puis, en 39, elle replonge dans les sciences et surtout, dans la machine de Babbage pour laquelle elle rédige des « diagrammes », des instructions. En 42, un ingénieur italien sort un article à propos de la merveilleuse machine. On propose à Ada Lovelace de le traduire. Elle le fait, scrupuleusement. C’est Babbage qui s’étonne qu’elle n’en ait pas profité pour y ajouter quelques notes personnelles. Que n’a-t-il pas proposé là ? Les notes d’Ada Lovelace représentent trois fois le volume de l’article original. Parmi elles, un algorithme pour calculer les nombres de Bernoulli (Définition : les nombres de Bernoulli ont leur utilité en statistiques.). C’est le premier programme informatique jamais écrit. Ada vient d’inventer « les notions d’exécution d’un algorithme, de branchement, de boucle dans un programme, de sous-programme. »
Informaticienne : Marissa Mayer
Regardez-la : d’une blondeur sans fourche, increvable malgré ses nuits courtes (déjà, chez Google, elle a accumulé 250 nuits blanches en cinq ans), elle suit 15 projets en même temps et en propose 1000 à l’heure. Alors qu’avec 300 millions de dollars sur son compte en banque, elle pourrait – quoi, faire ce qu’elle aime ? « Je suis une geek », assure-t-elle. Ce qu’elle aime, c’est faire de l’informatique.
Ingénieure : Anne Chopinet
Et voilà que « des bruits ont commencé à circuler sur l’ouverture prochaine » de l’école Polytechnique aux filles. Chopinet passe le concours, c’est à dire l’épreuve de mathématiques la plus difficile du pays. Et non seulement elle le réussit, mais elle se classe première. Du coup, lors du défilé du 14 juillet 1973 sur les Champs Elysées, c’est elle qui brandit le drapeau en tant que major de l’X. La France entière acclame la jeune fille sérieuse sous son tricorne, qui tient fermement la hampe entre ses gants blancs.
Inventeuse : Lise Meitner
Un mois plus tard, Meitner révèle toute l’explication théorique du phénomène dans la revue anglo-saxonne Nature : oui, l’uranium peut se scinder en deux. En expulsant, oh comme c’est étrange, une GRANDE quantité d’énergie. Meitner a-t-elle fait là la gaffe du siècle ? L’information tombe à pic dans l’oreille des états-majors de toutes les armées qui sont en train de mobiliser.
Inventeuse : Rita Colwell
« Elle a ainsi contribué non seulement à mieux prévenir le choléra, mais aussi d’autres maladies répandues dans de nombreux pays en développement. » De là à étudier « les impacts du changement climatique sur la propagation des maladies infectieuses, et à développer des modèles satellites pour localiser et anticiper leurs apparitions », il y a un pas qu’elle franchit. Elle travaille avec la NASA sur des images satellites, traquant les poussées de fièvre de la planète. Ses travaux sont d’abord contestés (elle parle plutôt de « railleries ») puis acclamés. « Combien de vies a-t-elle sauvées ? Des milliers assurément. » A Stockholm, on dit « des millions. »
Journaliste : Séverine
Séverine n’est pas une femme d’intérieur : elle descend à la mine pour enquêter sur les conditions de vie des mineurs (la « chair à grisou »). Regardez la : vêtue d’un bleu de travail, elle s’enfonce sur 600 mètres et décrit « la fendue […] pleine de bosses où l’on s’écorche le front, pleine de trous où l’on se déchire les pieds ; pleine, surtout, d’une eau glaciale qui tombe du plafond », les échelles qui « mettent à vif la plante des pieds – et si un échelon est pourri, c’est la mort ! » et les cages qui « asphyxient à demi ceux qu’elles transportent, tant leur descente est rapide – et si une corde est usée, c’est la mort ! La vie du mineur n’est faite que d’occasions de mourir ! »* Tout ça pour « 3 francs 80 » (salaire masculin) ou « 1 francs 33 » (salaire féminin).
Journaliste : Florence Aubenas
De sa détention, elle ne racontera pas tout – jamais. Ca ferait trop plaisir à ses geôliers qui lui ont répété en boucle qu’à sa sortie, elle ferait fortune en écrivant un livre à leur sujet, quelle chance. A la place, Aubenas sort un livre sur le procès d’Outreau, entre au Nouvel Obs puis prend un congé sabbatique et va s’installer à Caen. Comme Elsa Fayner et Barbara Ehrenreich, elle se met dans la peau d’une travailleuse précaire : elle devient femme de ménage. Si je vous dis « regardez-la », vous me répondrez « mais je la connais par coeur ! » Et en effet, son portrait format gigantesque est longtemps resté affiché sur la façade de l’hôtel de ville de Paris. Et pourtant, et pourtant… lorsqu’elle se rend à Caen, sous son vrai nom et avec son visage de tous les jours, personne ne la reconnaît. « Tu verras, quand tu seras femme de ménage, tu seras invisible. »
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