My sweet pre-internet brain [chronique]

L’almanach des réfractaires, Evelyne Pieiller, Ed. Finitude, 2016.

 

L’almanach des réfractaires commence par un incipit qui résume parfaitement ses ambitions : « L’Almanach se souhaite des lecteurs qui refusent de se hâter, et aient d’autres aspirations que connaître le fin mot de l’histoire. »

Présentant sagement un mois après l’autre, comme tout almanach qui se respecte, l’ouvrage fait miroiter, au sein d’un même chapitre, plusieurs facettes : Les soleils du mois, La science amusante, Chronologie des moments remarquables, Bibliothèque des voyageurs, Lumières bistrots et terrains vagues, Répertoire des affections, Leçon de désobéissance, La vie qui va (extraits), For members (only) et quelques Minutes méditatives. Il n’y a guère de points d’exclamation, ni de points d’interrogation. Il n’y a qu’un regard qui va, et parcourt les lieux et les époques pour s’étonner rêveusement.

Les soleils du mois donnent à l’auteur l’occasion d’évoquer les neiges d’antan et les canicules enfuies. « Souvent janvier paraît sourdement antipathique à l’homme moderne, qui lui reproche hâtivement d’être encombré de vieux sapins et d’agendas neufs. » précède inévitablement « A ma connaissance, qui n’est pas fluette, il n’existe pas de fan-club de février. Il n’existe même pas d’ailleurs de courant d’opinion un peu nourri à propos de février [qui est] de naissance, biscornu, bancal et vaguement sournois. » On passe ainsi l’année, jusqu’à octobre et sa « monotonie de pensionnat » ornée d’une « ode au square municipal », novembre « voué à la pluie sur les tombes » et enfin, décembre. « En décembre, le raisonnable est sourdement déprimé. La paillette lui parait pathétique. »

« La science amusante » disserte sur les mystères du monde, surtout les plus modestes. On n’oublie ni la très discrète ciboulette qui « sans forfanterie, est immémoriale. Plus ancienne que l’Atlantique, elle a senti l’ombre de l’aile de l’Archéoptéryx », ni l’encore plus menu lichen, « incolore, peu velouté, rébarbatif, et dans l’ensemble médiocrement susceptible de séduire », les plantes rudérales qui « poussent dans les endroits piétinés, les zones perturbées, les friches et les décharges. On compte parmi elles le mouron rouge, qui est très gracieux, le géranium mou et le pavot douteux, qui intriguent fortement, la pâquerette et le bouton d’or, aussi familiers que l’est peu la patience crépue. » Suit un bouquet de nénuphars : « L’admiratif du nénuphar va, s’il est porté sur la comparaison, le rapprocher sans trop d’effort du lotus à la mystérieuse aura. C’est excellent pour la conversation. C’est par la même occasion complètement erroné. Le nénuphar n’a rien de commun avec les fleurs d’oubli. En réalité, il est frère du platane. » Et pourquoi pas ? Un plan de tomate : « L’Amérique s’est longtemps interdit d’inventer le ketchup, parce qu’un botaniste anglais à la fin du XVIème siècle avait remarqué une certaine parenté entre la tomate et la belladone. Les anglophones se contentèrent donc d’admirer la vénéneuse séduction de la tomate dans les potagers étrangers, tout en soupçonnant le gaspacho d’être une preuve supplémentaire de la diabolique perversité des catholiques. »

Passant au règne animal, l’auteure se désole qu’« on s’interroge rarement sur les aptitudes du ver de terre. C’est la triste preuve d’un anthropomorphisme arrogant. » avant de plonger dans des eaux glacées : « L’Antarctique a l’imagination audacieuse des faiseurs de légende. Il a inventé le poisson des glaces, dont le sang ne contient pas d’hémoglobine, et le Notothenia, qui sécrète des molécules antigel. » Elle retrace la très remarquable épopée de l’allumette, et ajoute un furet (« Le furet est un putois albinos. Qui l’eût dit. »). Ne manquent que quelques ratons-laveurs pour que la galerie soit absolue :

« Au XIIème siècle, on invente l’absolu, au sens de parfait. Il y a alors la Vierge absolue et le bleu absolu. »

La Chronologie des moments remarquables plonge dans les replis de l’histoire comme une aiguille qui traque les mots pour les épingler à leur date de naissance. Elle pique athéisme à 1502 (« 1502. Atheus est répertorié dans le lexicon de Calepinus, et en 1549, il devient un mot français ») et y coud la biographie de Jacques Cartier : « 1542. Jacques Cartier est rentré en France. Il apporte au roi de l’or et des diamants. Les experts expertisent. L’or est de la pyrite et les diamants du quartz. Jacques Cartier est amer. »

Tissant la trame des siècles, l’auteure arrive aux Trois Glorieuses, « une rapide arnaque. Ils espéraient un renouveau, ils aboutissent à un recyclage des vieilleries ; ils obtiennent un changement de nom, mais on reste en famille : un Orléans remplace le Bourbon, et les caisses d’épargne vont remplacer les églises. Les innocents avaient pris les armes, les banquiers prennent le pouvoir. C’est alors que l’humain moderne se fêle. Il a le cérébral cynique ou résigné, et les nerfs agités. Il observe l’évolution et a du mal à y voir un progrès, mais il se convainc de ne plus espérer. Les maux de tête qui accompagnent son ennui le rassurent : il est toujours vivant. » On apprend que progresser date de 1831, industrialisation de 1836 et forcément, modernité, dépression et politicien de 1855. Moins d’un siècle plus tard, l’espoir se lève : « Automne 36. Les usines d’armement sont nationalisées, la CGT a deux émissions radiophoniques par semaine destinés à l’éducation ouvrière, l’Etat soutient les prix agricoles, Henri Langlois fonde la Cinémathèque française, il est décidé d’ouvrir des théâtres dans toutes les provinces, le CNRS est lancé. » Mais l’embellie est brève. « 1947, hiver. Il neige à Saint-Tropez. La Tamise est prise dans les glaces. Des trains de ravitaillement sont bloqués sur des rails gelés. A Berlin, pour vingt-quatre cartouches de cigarettes américaines, on peut acheter une Mercedes-Benz. Les milliers de costumes de l’Opéra de Berlin, entreposés par les nazis dans une mine de sel, sont récupérés par les forces d’occupation états-uniennes. »

La minute méditative est un encart étonné : « Les deux clochards sortent du Collège de France, et l’un dit à l’autre : « C’est dommage. C’est si beau, la gnose. » » D’autres étonnements ont une coloration plus sombre : « Les services des versements des retraites demandent à la Préfecture de Paris, en 1942, après la rafle du Veld’Hiv, la nouvelle adresse des absents. » Celui-ci réjouit l’âme de l’auteure de science-fiction que je suis : « Multivers, mégavers, plurivers : univers parallèles, passés récemment du statut d’hypothèse amusante, propice aux satiristes et aux sciences-fictionneurs, à celui d’hypothèse perturbante, caressée avec prudence par des mathématiciens et des astrophysiciens inspirés mais surpris. » Ceux qui préfèrent les chats apprendront, eux, que « la nuance vient de la nue, le chatoiement vient du chat. »

La Bibliothèque des voyageurs feuillette les latitudes d’un pouce rapide. On part avec René Descartes, qui « voyageait à cheval pour pouvoir pousser des cris de joie. Il se sentait par moments ému d’exister, et c’était une occasion de l’exprimer, sans en rendre compte à personne. » On y respire des roses et du thé : « Les rosiers étaient transportés de Chine par bateau en même temps que le thé. C’est ainsi qu’apparut la rose-thé. »

Lumières, bistrots et terrains vagues s’attardent dans les rues, essentiellement celles de Paris. On y croise les célébrités, et les autres.

« La Cour des Miracles, près de la rue Neuve Saint-Sauveur, a été détruite dans la première moitié du XVIIème siècle. Les mendiants, voyous et filles de joie se sont battus avec vaillance. Ils ont mis le feu à leurs cabanes, dépavé les ruelles et fait chauffer de l’huile pour la jeter sur les soldats. Quand il y eut trop de morts, ils disparurent. Ils connaissaient les passages glissants qui rejoignaient la Seine. »

« La Fontaine et Chapelle raccompagnent Molière rue de l’Ave Maria. La Fontaine et Chapelle sont saoûls comme des grives. Ils chantent à pleins poumons une chanson paillarde. Molière siffle en cadence. »

« Sur la promenade des Champs-Elysées, dans la semaine du 7 au 14 juin 1784, selon le rapport du responsable de l’ordre public, eurent lieu les incidents suivants :

M. Leroi de la Faudinière, dentiste, est arrêté pour avoir troublé la tranquillité publique au café de monsieur Domme. Il n’était pas d’accord sur l’addition. Un jeune homme qui mangeait de l’herbe et amusait les passants est envoyé chez le commissaire, avant de retourner à Bicêtre, d’où il apparut qu’il s’était échappé. Dugard fils, petit marchand d’éventails, a eu sa boite confisquée par la garde, mais un officier, M. Dumas, s’est ému de ce qu’il a considéré comme de l’inhumanité, et a ameuté une petite foule. »

« Devant le théâtre où il attend Alexandre Dumas, Nerval regarde un œillet jaune qui flotte dans le caniveau. Il est sans doute tombé d’une boutonnière. L’eau du caniveau miroite sous l’éclairage au gaz. »

« A la brasserie Andler, rue Hautefeuille, Courbet et Baudelaire buvaient des bocks en fumant la pipe. Le quartier était noirâtre. A la brasserie Andler, rue Hautefeuille, il faisait chaud et il y avait de la vitalité. Baudelaire essayait d’éviter de se dire que le nom secret de la brasserie était plutôt Au Rendez-vous des Beaux Ratés. »

« Baudelaire seul pleure quai d’Anjou. Des oiseaux volent au-dessus de la Seine. Le soir tombe. Une vendeuse de violettes tourne au coin de la rue. Elle va vendre ses fleurs sur les Grands Boulevards. »

Mais Londres aussi y a sa place :

« A la taverne de la Sirène, Shakespeare buvait une bière, le dos tourné à Ben Jonson, qui se prenait pour son rival. Robert Greene, qui était toujours sans le sou, profitait des chandelles pour écrire dans un coin les pamphlets qui lui permettaient de nourrir sa famille. Ben Jonson taquinait les serveuses et cherchait la bagarre. Robert Greene levait les yeux de ses papiers en se demandant si les chopes risquaient de voler. Les soirs où Ben Jonson était très ivre, il venait s’asseoir en face de Greene, et ils disaient du mal de Shakespeare en latin. La plupart du temps, Shakespeare partait après sa deuxième bière. Quand Marlowe passait, il restait, et commandait du gin. »

« Paul Verlaine est à Londres. Il fréquente le British Museum, il aime ressembler à un professeur tombé dans la gêne mais que l’étude console. Quand il a fini, il marche jusqu’à sa pension parmi le bruit des sabots des chevaux sur les pavés et des voix étrangères. Il a trente et un ans, il sort de prison, il ne connait personne, et il est très heureux. »

Et même Venise :

« Le jeune Albrecht Dürer, moins de vingt-cinq ans, est penché sur un étal de poissonnier à Venise. Il admire un crabe. Il vient de Nuremberg, où le crabe est inconnu. Il se tourne vers le vieux Bellini, qui, lui, regarde un Turc descendre d’un bateau. »

Le Répertoire des affections dépoussière les modestes catafalques d’humains de grande stature. Celui d’ Evariste Galois qui « ne faiblit pas » est exquis. Celui de Newby et Carless aussi : « Eric Newby est conseiller dans une maison de haute couture. » Il propose à « son ami Hugh Carless, premier secrétaire à l’ambassade de Téhéran, l’ascension du Mir Samir. […] Tous les deux sont persuadés qu’il s’agit d’une décision remarquablement raisonnable. D’abord, parce qu’aucun Européen n’est entré dans cette région depuis cinquante ans, ce qui prouve bien qu’il faut le tenter. Ensuite, parce que Carless parle persan, et les Afghans aussi, ce qui prouve bien qu’ils sont réalistes. Qu’ils ne soient, l’un et l’autre, pas plus alpinistes qu’explorateurs est un double détail qu’il serait tatillon de mentionner. D’ailleurs, ils vont s’entraîner au pays de Galles, ce qui prouve bien qu’ils sont conscients de leurs lacunes. Carless et Newby prennent un congé, s’équipent au Vieux campeur ou son équivalent britannique, et partent faire de l’escalade. S’ils ont quelques doutes sur la pertinence du piolet gallois pour se préparer à un quasi-Annapurna, ils ne s’y attardent pas. Ils ont fait ce qu’il fallait, ils partent. C’est assez rapidement catastrophique. »

Parfois, on y rencontre des hommes célèbres, dont Cézanne qui fait des caprices au Louvre et dîne en bonne compagnie : « Quand il venait à Paris, il lui arrivait de dîner au café Guerbois, avec Renoir, Zola et Monet. Il trouvait qu’ils avaient tous l’air trop confortables. » Arrive plus tard l’abominable Chandler : « En 1943, Raymond Chandler a 55 ans […] Il est à Hollywood pour gagner de l’argent […] C’est d’ailleurs le seul plaisir qu’il a, avec peut-être par-ci par-là l’agrément de se montrer franchement et efficacement désagréable […] Il trouve les scenarii, y compris les siens, pathétiques. Il trouve les directeurs de studio infréquentables et enclins à poser des questions stupides, en particulier quand ils cherchent à comprendre qui a tué qui, ce à quoi il répond qu’il l’ignore […] Il obtient tout ce qu’il veut […] il n’en conçoit aucune gratitude. De surcroit ses films sont des succès, ça l’achève. »

Mais le plus souvent, Evelyne Pieiller maçonne des monuments à de parfaits inconnus : « Jacques-Gilbert Ymbert a écrit, en 1822, période morne, un opuscule qui suscite l’amitié : « L’art de faire des dettes par un homme comme il faut, dédié aux gens destitués, réformés ; aux victimes des révolutions et des changements de ministères passés, présents et à venir. » »

La Leçon de désobéissance fait de même, à ce détail près que les héros ne sont pas morts, mais en pleine insurrection. « A Londres, les hommes en noir sont au pouvoir. Ils s’appellent les Puritains, et voient le mal partout. Ils ont établi une République triste et paranoïaque. Ils ont interdit de rire aux éclats, de porter de la soie, d’exhiber des bijoux, et de faire du théâtre. Entre autres. On est en 1642.

Les comédiens qui jouaient jusqu’à l’arrivée de Cromwell des pièces fières entreprenant de créer des mondes sont devenus marins ou mendiants. Mais parfois, le soir, des gens discrets, drapés dans des manteaux austères et boutonnés jusqu’au col, vont dîner tranquillement chez des amis. Dès le vestibule, ils étincellent. Or, taffetas, breloques, rubis, dentelles, ils viennent jouer, ou ils viennent regarder : ils viennent faire exister le théâtre. Ils repartent en reboutonnant leur manteau. Le Capitaine Cook fut un Soliman impressionnant.

Ils risquent au moins le piloris.

On est pâle de nostalgie. »

Ou pâle de jalousie :

« L’Islande, au moment de la Grande Crise, a refusé par referendum de payer la Dette, et emprisonné les banquiers qui en étaient responsables. »

La vie qui va (extraits) propose des passages d’un journal intime. La réflexion tourne souvent autour de la vieillesse. Car « le vieillissant est souvent perplexe. C’est peut-être même l’une de ses caractéristiques. […] Quand je suis en forme, je revendique la péremption, quand je ne le suis pas, je la revendique aussi d’ailleurs, c’est une question de principe. Bah. Parfois on se dit qu’on est des monuments historiques, et qu’on devrait se faire classer. Avec visite obligatoire par les scolaires. Et à d’autres moments on se dit qu’on est juste un buffet Henri II. »

L’auteure s’y révèle d’une modestie bien tempérée : « Il n’y a pas de quoi se vanter, d’écrire. C’est comme être monogame. Une névrose. »

« Comment on survit dans ce monde sans vouloir être riche et célèbre. Et pas davantage pauvre et ignoré. »

« Longtemps je n’ai pas eu de projet d’avenir. Aujourd’hui encore. Avec constance j’ai manqué de réalisme. Ma foi, quelle splendeur. »

Sans oublier cette phrase lumineuse : « on est tous idiots, et on est tous un monde. »

Mais le plus souvent, elle se penche sur sa jeunesse avec émotion : « La nuit tombait, les réverbères s’allumaient, dehors c’était le gris des usines et les feux du carrefour, quelqu’un se mettait à raconter sa vie, et ça faisait un rond de lumière. […] Ils étaient beaux à la perfection ces moments-là, la nuit qui tombe, et ce qui ne se dit pas dans le monde du dehors, ils montraient l’autre côté des grandes personnes. » Et sur l’enfant qu’elle était avec affection : « Quand j’étais enfant […] j’étais par exemple étonnée par l’existence intermittente des cernes. Les cernes bleutés sous les yeux. Je trouvais aux cernes bleutés une séduction à la mesure de leur mystère. […] Moi aussi je voulais des cernes. »

For members (only) traite d’Angleterre et de chat, forcément. Je cite un passage in extenso pour donner une idée de cette prose évocatrice, économe en moyen et qui ouvre à chaque page des portes sur des mondes :

« Au nord de l’Ecosse, sur la côte ouest, il y a un port : Mallaig. Il n’est pas difficile à trouver, il est le seul. Pour y arriver, on roule sur des routes étroites qui n’acceptent qu’une voiture à la fois. On parvient ainsi au bout des Highlands tout étincelant de courtoisie, et le bras musclé à force de tourner rapidement le volant pour se garer sur le bas-côté et laisser passer le véhicule d’en face. A vrai dire, ce n’est pas si fréquent. Le véhicule d’en face est rare, et quand il surgit, il est aussi prometteur, énigmatique et captivant que l’entrée d’un inconnu au saloon dans un western. De temps en temps il y a des moutons et il y a des lacs, et, tout le temps, la pluie et des brumes qui rendent les châteaux au loin exagérément romantiques. »

On y entend aussi une critique de Doctor Who, et la voix de Philip K. Dick : « J’ai écrit et vendu vingt-trois romans, et ils sont tous épouvantables ; sauf un. Mais je ne sais pas vraiment lequel. » Et un chat qui ronronne, toujours : « Le chat n’est pas moderne. Le chat n’est pas rentable. Le chat n’est pas convivial. Il est bon de regarder un chat, c’est un authentique soulagement pour l’esprit blessé par la morale libérale. »

L’Almanach d’Evelyne Pieiller engage un dialogue chaleureux avec le lecteur (« Affectionnons, lecteur, la myrrhe, l’or et l’encens de nos élans bizarres, comme celui qui te porte à lire cet almanach, comme celui qui me porte à l’écrire. ») et le maintient jusqu’au bout (« On va se quitter, ô mon lecteur, on va se quitter. »). A chaque phrase, l’humour y double la mélancolie comme un satin cerise sous un tweed gris. Donnant de la plume dans toutes les époques, dans tous les dessous des hommes et des choses, livrant de la grande histoire, de la petite et de l’autobiographique, avec un attachement indéfectible aux marges et aux ombres, cet Almanach est à la fois étourdissant et apaisant. Il parvient aussi, tour de force, à être à la fois didactique et émouvant. Et surtout, il se lit lentement, de cette lenteur chère aux voyages de Vigny. Entre ses pages, la « Rêverie amoureuse et paisible » peut « sur chaque objet visible […] verser un long regard, comme un fleuve épanché » sans que son portable ne sonne. Le lecteur, la lectrice s’y promènent comme chez Nerval, ou à bord des « Chroniques italiennes » de Stendhal : le nez en l’air, faisant oh ! et ah ?

Grâce à ce livre, j’ai eu un instant l’impression de retrouver mon cerveau pré-internet (« I miss my pre-internet brain », comme le dit si joliment Douglas Coupland), celui qui savait prendre son temps. Merci mille fois pour la balade.

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