Au bal des absents

4 de couv’

Claude a quarante ans, et elle les fait. Sa vie est un désert à tous points de vue, amoureux et professionnel ; au RSA, elle va être expulsée de son appartement. Aussi, quand un mystérieux juriste américain la contacte sur Linkedin – et sur un malentendu – pour lui demander d’enquêter sur la disparition d’une famille moyennant un bon gros chèque, Claude n’hésite pas longtemps. Tout ce qu’elle a à faire, c’est de louer la villa « isolée en pleine campagne au fond d’une région dépeuplée » où les disparus avaient séjourné un an plus tôt. Et d’ouvrir grands les yeux et les oreilles. Pourquoi se priver d’un toit gratuit, même pour quelques semaines ? Mais c’est sans doute un peu vite oublier qu’un homme et cinq enfants s’y sont évaporés du jour au lendemain, et sans doute pas pour rien.

Une famille entière disparaît, un manoir comme premier suspect. Entre frissons et humour, Au bal des absents est une enquête réjouissante comme on en lit peu.

J’ai eu envie de reprendre le personnage discret et obstiné de Claude, l’héroïne de L’immaculée conception, et de la mettre face à un choix dur comme la vie elle-même : mourir de peur, ou dans la rue. Il s’agit d’une spéculation dans le genre du Guide de survie en territoire zombie. Et j’ai la conviction qu’aucun spectre vengeur ne peut être plus cruel que le petit mail qui vous informe que vous n’avez plus droit au RSA. D’un autre côté, c’est plus facile à dire qu’à vivre :

Extrait

L’angoisse la parcourait sans cesse, comme un frisson sous la peau d’un cheval, et, à l’intérieur, elle se liquéfiait. Ça faisait trois fois qu’elle allait aux toilettes, ce matin. Il faut bien que je le fasse, pourtant. Son esprit était bien d’accord avec elle-même : il fallait retourner là-bas, et gagner. Débusquer le monstre, et le massacrer à coups de talons ! Mais physiquement, elle n’y arrivait plus. Être là-bas, le gravier qui crisse, ce froid, ces cadavres, morceaux de cadavres, jambe pourri, yeux crevés, langue sortie, main momifiée avec ces affreux ongles sales, toutes ces choses se balançant, rampant, l’agrippant, grimaçant dans les miroirs, leurs chants insidieux, et le temps, le temps qui se tord comme un serpent, et l’espace qui se dérobe… Elle eut un soupir qui finit en sanglot ; la vieille dame qui lisait Le Monde diplomatique leva un œil étonné. Pour se donner une contenance, Claude sortit la petite bouteille de la poche de son manteau. Elle se fit la leçon, et c’était la même qu’au début : non seulement elle n’avait pas le choix, mais en plus, elle était têtue. Elle n’était pas fine, pas dégourdie, pas liante, pas employable, pas grand chose en fait — mais têtue, oui. Il faut bien être quelque chose. Pensivement, elle fit rouler la bouteille d’eau bénite entre ses doigts. La récolte avait été maigre : un fond d’eau jaunie. Je rajouterai de l’eau plate. Quand on ajoutait de l’eau normale à de l’eau bénite, ça donnait quoi ? Beaucoup d’eau un peu bénite ? La bénédiction, ça se diluait ? Ou est-ce que ça faisait comme l’homéopathie ? Claude fronça les sourcils sous l’effort. Ça ne devait pas exister, de l’eau un peu bénite. Ça devait être comme un peu enceinte. On était bénite, ou pas.