Wrapped wraith [texte intégral]

Wrapped wraith

Nouvelle inédite

Piteusement inspirée de Jean Ray, celle-là a connu 84 versions et ça n’est pas encore ça.

 

Elias et Camille avaient l’habitude de passer leurs vacances ensemble et pour la Toussaint 19.., ils avaient loué un appartement dans le village dont Camille était originaire, au fond des Vosges.

Leur maison, accroupie au cœur du quartier médiéval, abritait ses murs trapus sous un chapeau de vieilles tuiles oranges. Les deux amis ont posé leurs bagages, ensuite ils sont allés faire une promenade dans la forêt, sous le ciel gris.

Après avoir suivi la route un moment, les deux jeunes gens ont pris un petit sentier qui s’est rapidement perdu dans l’épaisseur des bois. Ils ont marché longtemps en silence l’un à côté de l’autre, donnant de temps en temps des coups de pied dans les pommes de pin pourries. Quand Elias s’est arrêté pour allumer une cigarette, il a jeté un œil sur les arbres qui les entouraient. Entre deux branches, il a aperçu un vallon ensoleillé par un rayon de soleil orphelin. Un petit manoir était posé là. Elias a appelé Camille, qui est revenu sur ses pas.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Là, ce manoir. Tu le connais ?

– Un manoir ? a répété Camille en regardant dans la direction qu’Elias lui indiquait du bout de sa cigarette. Puis il a grommelé :

– Tiens ? Elle est toujours là, celle là ?

Il a frissonné en resserrant son col autour de son cou. Brusquement, il a fait demi-tour et il est reparti vers la route à grandes enjambées. Elias est resté seul, sa cigarette fumant au bout de ses doigts glacés. Le manoir était de style anglais, avec des colombages sombres et des tourelles en ardoise grise. Une vigne vierge rouge couvrait sa façade. De grandes fenêtres vitrées, au rez de chaussée, laissaient deviner des pièces claires. La lumière du couchant jouait sur la pelouse. Elias a jeté sa cigarette dans la boue et rattrapé Camille.

 

La nuit d’automne était en train de tomber. Le vent frappait aux carreaux. Allongé sur un sofa devant la cheminée, Elias regardait les flammes à travers un verre de vin rouge. Camille tisonnait le feu.

– Dis moi, Camille. Tout à l’heure, tu as littéralement fui le manoir que je te montrais, non ? a demandé Elias.

Camille a reposé le soufflet. Il s’est assis au bout du canapé et il a souri dans le vide :

– Tu veux parler du vallon ? Figure-toi que tous les habitants de cette vallée sont persuadés qu’il est hanté.

Elias a souri :

– Une maison hantée, ici ? Ca manque de brumes, ça manque de ruines et pour tout dire, ça manque d’Ecosse.

Camille a haussé les épaules :

– Pas la maison : le vallon. C’est le vallon qui a la réputation d’être hanté.

Il s’est raclé la gorge :

– Par la maison.

Il a bu une gorgée de vin dans le verre d’Elias. Après un silence, il a repris :

– Les Vosges sont maléficieuses. Ses forêts ont longtemps eu une réputation si épouvantable que personne n’osait y entrer, même pour y couper du bois. Tu savais ça ? Un grand inquisiteur du XVIème siècle était tellement certain que la moitié de la population vosgienne était vouée au démon qu’il en a usé avec elle… comme ça.

Camille a jeté une brindille dans le feu. Puis il s’est penché et a pris son propre verre sur le guéridon. Elias a calé sa nuque contre l’accoudoir :

– Est-ce que ce n’est pas plutôt le côté anglais de ce manoir qui a poussé les gens du coin à inventer une histoire inquiétante ?

Camille a levé un sourcil :

– Parce que tu as vu un manoir anglais ? J’appelle ça chaumière normande.

Elias a haussé une épaule, Camille a eut un rire :

– C’est pour ça que j’aime venir ici. Tout y sent le feu de bois, le champignon et le spectre. Quand même, ne va pas là-bas sans moi, d’accord ? Ces coteaux sont pourris de fondrières. J’y ai déjà laissé quelques bottes.

– D’accord, a dit Elias. Nous irons ensemble. Le dernier qui s’embourbe déterre l’autre.

 

Le lendemain, quand Elias s’est réveillé, Camille était parti. Il avait pris le train très tôt, pour rendre visite à une vieille parente qui habitait dans une vallée voisine. Elias a jeté un œil à la carte posée sur la table de la cuisine : Camille lui souhaitait une bonne journée et lui demandait de rentrer des bûches pour la flambée du soir. Il avait aussi laissé, sous un torchon blanc, une énorme part de brioche. Elias a glissé le mot dans la poche arrière de son pantalon et s’est préparé un café. Par la fenêtre, il a regardé une aube blanche et épaisse se hisser au dessus de l’épaule noire des cols.

Quand il a eu fini son déjeuner, rangé la cuisine et pris une douche, il s’est retrouvé avec une journée à meubler. Après avoir regarni le bûcher et jeté des châtaignes aux corneilles qui criaient devant la maison, il n’était même pas venu à bout de la matinée. Il a enfilé son caban et s’est résigné à faire une promenade.

 

Le temps était maussade et mouillé. L’argile et les feuilles mortes collaient aux semelles d’Elias. Au fond de ses poches, ses mains étaient glacées. Le nez rougi et le regard fixé au sol, il avançait pesamment sur le flanc d’un coteau. Les cris rageurs des corbeaux se croisaient dans le ciel, loin au dessus de la cime des sapins.

Au bout d’une heure, un rayon de soleil a poussé Elias à relever la tête de son écharpe. Il s’est arrêté : le manoir était là, en face de lui, avec sa vigne vierge d’un rouge luisant, sa pelouse verte et lustrée. Elias s’est détendu. Comme la veille, la vision du manoir était une source fraîche pour ses yeux fatigués du morne film des feuilles pourries. Se rappelant la promesse faite à Camille, il s’est tenu sagement immobile, se contentant de savourer de loin le jeu des couleurs.

– Hého !

Quelqu’un venait de sortir du manoir et marchait vers Elias à grands pas.

– Camille ? a murmuré Elias. C’était bien lui, vêtu de son vieux pull bleu et arborant un franc sourire.

– Tu es venu, alors ? a dit Camille.

Il a donné une claque sur l’épaule de son ami.

– Moi non plus, je n’ai pas pu me retenir.

Il a passé son bras autour des épaules d’Elias et l’a entrainé à travers la pelouse, vers l’entrée du manoir. Son teint était animé, il paraissait joyeux.

– Vois-tu, il y a bien longtemps, je venais souvent jouer ici. Rassure-toi, l’intérieur est désert mais il n’est pas trop en ruine.

Camille a ouvert une porte vitrée et poussé Elias dans une grande entrée carrelée de noir et blanc. L’entrée donnait sur un salon peint en blanc à filets d’or. Un tableau à l’huile pendait à un mur, dans un cadre terni. Il représentait une vieille dame en chignon dont le large regard bleu illuminait les traits froissés.

– Viens voir ! a crié Camille.

S’enfonçant au coeur du manoir, Elias l’a rejoint dans une salle à manger éclairée par de vastes fenêtres poussiéreuses. Une statue de Pomone montait la garde près d’une croisée, Elias s’en est approché. Admirant la blancheur crémeuse du biscuit, il a doucement passé deux doigts sur le flanc lisse de la statue.

– Arrête de compter fleurette aux déesses et viens visiter l’étage, a dit Camille.

Elias l’a suivi dans un escalier branlant. Des gravures de mode ornaient le mur de l’escalier, un vieux tapis rouge s’effilochait sous ses bottes, une tringle en cuivre luisait doucement au fond de chaque marche. Arrivé sur le premier palier, Elias a regardé autour de lui tout en soufflant dans ses poings pour les réchauffer. Sur sa droite, une porte laquée de gris perle ouvrait sur une chambre tendue de jaune. Sur sa gauche, un autre escalier donnait sur les profondeurs sombres d’un couloir. Elias s’est aperçu que deux de ses doigts étaient tachés de pourriture verte. Il a glissé une main dans la poche arrière de son pantalon pour prendre un mouchoir. Il en a sorti un rectangle de carton : c’était le mot de Camille. Machinalement, Elias l’a retourné :

« Je rentre par le train de 18 heures. Amitiés. Camille »

Dans le dos d’Elias, le parquet a craqué.

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