Oreille amère

Une histoire d’asmr (j’adore l’asmr) (mettre le son à fond et au casque)

La vraie nouveauté de ces temps maudits, c’est quand même le format .xtc : « le format multisensoriel, le format SEN-SU-EL ! ». C’est à dire que la définition 3D n’a d’égal que la qualité du son, le réalisme de la résolution olfactive et la finesse de l’effet-de-réel tactile. Pour le goût, on progresse.

Mon job ? Dénicheur de talent sensoriel. Je suis capable de les repérer n’importe où, dans la rue ou le métro, chez le biotech’ ou au bout du bar — j’ai un talent pour ça. Mais attention : pas n’importe quelle sensorialité. Seulement l’émotionnelle. Parce que le gros boulard, c’est déjà bien encombré, comme créneau. Et seulement la plus puissante –et la plus discrète. Celle des schizotypes.

Le schizotype, c’est le genre de profil psychologique qu’on envoie passer six mois à carotter la glace dans une station polaire, ou à graisser des têtes de forage sur un météore – ou à numériser des bandes magnétiques dans les caves d’une bibliothèque nationale. Six mois absolument seul, et qui ne voit pas du tout le problème. Le genre profondément secoué, c’est ça. Mais qui ne fait pas d’éclaboussures. Qui n’a pas besoin des autres parce qu’il est d’assez bonne compagnie pour lui même. On dit : « déficit social interpersonnel. » Je dis : mine d’or.

Ces gens là bouillonnent pendant des années, comme des marmites scellées, autour d’une seule et même obsession — souvent les circuits ferroviaires miniaturisés, je dois reconnaître. Alors, quand on réussit à leur prendre ne serait-ce qu’un seul tétraplet sensoriel, miam ! C’est du concentré d’émotion. Du miellat de pied cosmique. Cristallisé autour d’une locomotive à vapeur au 1/87e modèleTU13 année 1943 peinte en vert bouteille au pinceau à un poil, OKAY, mais qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Croyez-moi, ce que ces petits fumiers de schizotypes cachent sous leur air figé, c’est à quel point ils sont heureux. Pour peu qu’ils aient les moyens matériels de se concentrer sur leur petite manie, ils passent leur vie au grenier du septième ciel. Aucun mal à ça, hein ? Mais moi, mon job, c’est qu’ils partagent.

Un autre extrait ici.