Leaving Terry Pratchett

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Leaving Terry Pratchett

Last night a DJ saved my life. Moi, c’est Pratchett qui m’a sauvé la peau au siècle dernier.

Il y a toujours un moment, dans la vie d’un être humain, où il se met à faire son Musset : « Je me suis étonné de ce qu’on peut souffrir sans mourir. » Et on se regarde dans la glace avec ahurissement. Ce moment arrive tôt ou tard ; pour moi, c’a été couci-couça – à vingt-cinq ans.
Pendant trois longues années, sans autre raison que le bon vouloir du mauvais sort, mon entourage s’est mis à mourir. Depuis les grand-pères atteints par l’âge et les adultes atteints par les soucis cardiaques en passant par les jeunes atteints du sida, de leucémie et autres saloperies, jusqu’au cousin de sept ans emporté par une pneumopathie – je n’ai jamais vu de spectacle si navrant que ce petit garçon blond dans sa boite blanche, serrant contre lui pour l’éternité sa grenouille en peluche.
Nombre d’entre nous affrontent les deuils avec une admirable fermeté d’âme. Pas moi. A vrai dire, je n’y ai même pas songé. Que tant de chairs si aimées, si aimantes et si pétries d’avenir soient livrées sans retour aux vers et aux ombres m’a, comment dire ? Affreusement scandalisée. Outrageusement choquée. A l’époque, il y avait encore des cabines téléphoniques dans les rues : j’allais m’enfermer dedans pour hurler à mon aise et donner des coups de pied dans le mobilier urbain. Je pissais de l’eau par les yeux en telle quantité qu’au bureau, j’étais obligée d’expliquer que j’avais le rhume des foins – en janvier, c’était ridicule. Au fond, j’ai passé ces années à chercher Dieu partout pour lui casser la gueule.
Un deuil, ça dure deux ans. Huit deuils, ça dure deux ans aussi, mais c’est plus dur. Après trente ans, j’ai cessé d’être humide. Mais je n’étais pas très gaie. Et je n’avais pas repris l’écriture.

J’ai commencé à écrire quand on me l’a appris, à sept ans. Et je n’ai jamais arrêté – sauf pendant ces années là – dieu que je me suis ennuyée en plus du reste. Mais je n’avais jamais eu l’idée de publier. Je n’en voyais tout simplement pas l’utilité, et il faut quand même une bonne raison pour se lancer dans l’abattage de ces arbres dont on fait la pâte à papier. Je veux dire, qui peut avoir besoin de mes livres ? Jusqu’au jour où j’ai ouvert ce bouquin sévèrement colorié – Mortimer. J’ai lu :
« Les plantes rétroannuelles sont celles qui poussent à rebrousse-temps. Vous les semez cette année et elles poussent l’année dernière. Les cultivateurs rétroannuels sont d’ordinaire des hommes costauds, portés sur l’introspection et l’étude vigilante du calendrier. Un fermier qui néglige de semer des graines ordinaires ne perd qu’une récolte, alors que le distrait qui oublie de semer celles d’une récolte déjà faite douze mois plus tôt risque, lui, de flanquer la pagaïe dans tout le tissu de causalité, sans parler de la vive honte dont il se couvre. »
Ca y était. J’étais morte de rire.
J’ai plongé dans Pratchett. Je me suis roulée dedans. J’ai tout lu. Puis j’ai tout relu. Et ça m’a fait du *bien*. Je me suis dit que ce type devrait être remboursé par la sécu. Et je me suis dit que c’était une bonne raison de publier, ça, être remboursé par la sécu. Et j’ai décidé de me faire publier. Mais d’abord, j’ai écrit une lettre à Pratchett : « May I (Comment on dit plagier ?) May I plagiarize you ? » Il n’a pas répondu.
Sur la foi de l’adage suant de mauvaise foi « qui ne dit mot consent », j’ai écrit Blanche-neige et les lance-missiles – un pur Pratchett’like – en une semaine. Je l’ai corrigé en un an et j’en ai mis trois de plus à le faire éditer. C’est là que j’ai rencontré la fine équipe des éditions Nestiveqnen, que mille grâces baignent leurs pas ailés. Le livre est sorti, j’en ai vendu cinq mille exemplaires. Et c’est comme ça que je suis entrée dans le monde merveilleux de l’édition.
C’est grâce à lui que j’ai pu visiter gratoche toutes les librairies de France et d’ailleurs. C’est comme auteure que j’ai pu visiter Pompei au bras d’Andrevon et Montréal avec une paire de baskets parfumées à l’orange (C’est les Américains, ê). Que je me tape la cloche avec les petits génies de Falawide Glacial et que je bois du lait avec Moorcock. Que j’ai des conversations élevées avec des auteurs talentueux, et que j’ai pu glisser à Alexandre Astier cette remarque spirituelle : « Euh… vous avez de la mousse à raser dans le cou. » Que j’ai bredouillé à Aldiss : « I like a lot what you do. » Que je me pinte la ruche chaque année au stand de l’Armée de Terre au Salon du livre. Que j’ai passé des choux au fromage en screud à Gonzague Saint Bris parce que PPDA goinfrait tout le buffet de Noël des éditions X. Et que je me sers de la BNF comme armoire de classement.
Mais ça, c’est la mousse sur le gâteau. Le « truc et tout le truc », c’est que c’est ici, dans le milieu des littératures de l’imaginaire, que j’ai mon chapeau, mon cœur et mes amis. Ils sont beaux, ils sont drôles, et ils sont vivants.
J’ai écrit trois Pratchett’like. La série Quand les dieux buvaient. J’ai tout eu, comme réactions. Que c’est du sous-Pratchett. Que « ma prof de français me l’a confisqué et l’a mis à la poubelle en disant : « C’est ça que les jeunes lisent, maintenant ? » » (Nan, c’est Fifty shades, vieille conne). Que « on se demande ce que l’auteure a pris pour écrire ça (et s’il ne lui en resterait pas un peu ?) ». Que « c’est bien marrant mais où est le plan ? » (Un plan ? Quel plan ? Oh, ce plan.) Que « c’est résolument anticapitaliste » et que « y a des gros mots – et du sesque, hihihi ». J’ai des lecteurs contents, des lecteurs pas contents, et mon opinion est ferme : oui, c’est du sous-Pratchett mais y a du sexe.
L’important, c’est que j’ai fait marrer une poignée de gens en ce monde et c’est juste ça que je voulais.

J’ai failli rencontrer Pratchett. C’était à Nantes, aux Utopiales. IL était là. Je tournais autour du bar comme une scie circulaire, sans oser. Michel Pagel, gentiment, m’a proposé de me le présenter ; je me suis enfuie. Je n’ai pas tant de regrets : bafouiller « I love very much what you do » ne manque pas à ma couronne.
C’est à Nantes aussi qu’un scifiste vipérin (tout le monde sait que la fantasy est un sous-genre pour fille et la science-fiction, de la vraie littérature pour homme) m’a glissé :
« C’est bien, tes histoires de fées. Et maintenant, quand est-ce que tu nous fais un vrai livre ? »
De rage, j’ai mis au point un livre bien sérieux, bien sinistre, bien politique, bien viril, et centré – oh comme c’est étrange – sur la difficulté d’accepter la mort : Le goût de l’immortalité. J’ai eu plein de prix. Moi aussi, si je veux, je peux.
Dans la foulée, j’ai fait un quatrième Pratchett’like, L’immortalité moins six minutes. Centré, c’est stupéfiant, sur la problématique du deuil. Et puis j’ai repris des études et j’ai rédigé mon mémoire de Master 2 sur Pratchett et son génial traducteur, Couthon (et Patrick Marcel, et Michel Pagel). En informatique documentaire, ce n’était pas gagné, mais j’ai eu ma mention et mon diplôme. Ca s’appelle L’humour anglais est-il soluble dans la Manche ? La preuve par Terry Pratchett et c’est très ennuyeux. J’ai aussi collaboré au numéro spécial Pratchett de la revue Faërie – j’étais responsable de la partie « humour et calembour », chargée de relire tout Pratchett pour en extraire les jeux de mots les plus britanniques et ça m’allait très bien. J’ai ajouté ma pierre au Panorama illustré de la fantasy & du merveilleux des Moutons électriques – le chapitre Pratchett, c’est moi. J’ai scruté à la loupe les illustrations du regretté Kirby puis de son successeur Kidby. J’ai lu Wind in the willows parce que c’est ce livre-là qui a ouvert à Pratchett la porte du monde merveilleux. J’ai acheté tout Shakespeare à cause de Trois soeurcières (mais je n’ai pas tout lu parce que bon). J’ai acheté la carte du Disque-monde à mon héritier et le jeu de rôle du Disque-monde à ma pièce de rechange. J’ai vu Le père Porcher en famille tant de fois que j’ai eu le temps de compter les dents (il y en a quarante deux millions). Tous les soirs, au coin du lit, je relis encore le Disque-monde, mais cette fois à voix haute – nous en sommes à Procrastination – et j’ai un succès fou.

Mais le mal est plus profond : d’abord, je dois à Pratchett l’essentiel de mon humour quotidien. Je me regarde vieillir dans le miroir en me répétant tous les matins : « Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé. » (Les zinzins d’Olive Oued) Je compacte couramment mon opinion sur Guéant en un « Il n’arriverait pas à trouver son cul avec ses deux mains » (Mortimer) L’essentiel de mes posts Facebook se résume à Ook ou Eek (c’est mon bouton J’aime pas à moi). Je regarde les France-Angleterre en philosophant : « Les rosbifs nous ont encore troué la défense comme le fruit du kzak à travers une petite grand-mère… » (D’après le fameux :
« Voyez là-bas l’ennemi dormir repu,
Gras d’or volé, dans l’âme corrompu.
Que les lances de votre courroux soient le feu de la steppe
En pleine saison sèche par jour de grand vent. »
Traduction libre de : « Les gars, ils sont presque tous encore au pieu, on va leur passer au travers comme le fruit du kzak dans une petite grand-mère. Moi, j’en ai jusque-là des yourtes. » (Mortimer)) Quand je suis dans un environnement moins sportif, je cite doctement « Cujus testiculos habes, habeas cardia et cerebellum. » (« Quand on retient solidement l’attention des gens, les cœurs et les esprits suivent. ») (Petits dieux) Dès qu’un vieux m’assène « c’était mieux avant », je ressers la célèbre tirade de l’octopode aquatique poilu : « Tout était si simple autrefois. L’univers baignait alors dans l’ignorance, et le savant le passait à la bâtée tel un prospecteur accroupi au dessus d’une rivière de montagne, cherchant l’or de la connaissance parmi les graviers de la déraison, le sable de l’incertitude et les petits octopodes aquatiques poilus de la superstition. De temps en temps il se relevait et lançait une phrase du genre : « Hourra, j’ai découvert la troisième Loi de Boyle. » Et chacun de savoir où il en était. » (Mécomptes de fées) Quand on me demande « Que serait l’humanité sans amour ? » je réponds : « UNE ESPECE RARE » et quand je regarde Walking deads, je compatis à mort en songeant au soliloque de feu Vindelle Pounze :
« Eh ben c’est vrai. Il y a une vie après la mort. Et c’est la même. Bien ma veine. […] Pas étonnant que l’imagerie populaire représente toujours les morts-vivants en colère. » (Faucheur)
J’ai tenté de transmettre cet humour à mes enfants et j’y suis à peu près parvenue. Mais pas toujours.

Mais le mal est plus profond encore : en plus de mouchoir, clef magique, littérature pour enfants, caution universitaire, sujet d’articles, interjection de réseautage, fournisseur de réparties astucieuses et Muse artistique, Pratchett me sert carrément de maître à penser. Face à une situation épineuse, je me pose toujours deux questions : « Qu’en dit Yourcenar ? Que ferait Mémé Ciredutemps ? »
Pratchett m’en a remontré dans toutes les disciplines. Politiquement, j’ai compris pas mal de choses sur la façon dont les guerres se déclenchent (c’est à dire, avec une bêtise écrasante de Massey-Ferguson) dans Va-t-en guerre, et comment adosser une monnaie à une valeur autre que l’étalon-or dans Monnayé (voire, comment la tirer carrément du néant dans Timbré). J’ai reçu une magistrale leçon d’urbanisme en lisant, dans une interview de Pratchett parue dans Multimondes en 1999 : « Je me souviens d’une conférence au cours d’une de ces conventions [de fantasy], avec d’autres auteurs de fantasy. On devait expliquer comment concevoir une ville fantastique. Et tout ce dont les autres parlaient, c’était des ordres de chevalerie, des puissants. Il s’agit d’une grande cité, n’est ce pas ? Alors il n’y a que deux questions : comment faire entrer l’eau potable ? Et comment faire sortir la merde ? » En topographie, j’ai entrevu une vérité avec : « Lorsque les premiers explorateurs s’aventurèrent dans le froid de l’arrière-pays pour compléter les espaces blancs de leurs cartes, ils sautaient sur le premier indigène venu, désignaient au loin un point de repère, demandaient ce que c’était d’une voix forte et claire et notaient ce que leur répondait l’homme stupéfait. Ainsi restèrent immortalisés dans des générations d’atlas des bizarreries géographiques telles que « Rien-qu’une-Montagne », « Je-Sais-Pas », « Quoi ? » et bien entendu « Ton-doigt, Crétin ». » (8ème sortilège)
De façon plus personnelle, j’ai tout compris aux réunions de copropriété grâce à « le centre de Morpork était désormais livré aux flammes, et les citoyens plus riches et plus honorables d’Ankh, sur la rive d’en face, affrontaient bravement la situation en démolissant frénétiquement les ponts. » (8ème couleur) J’ai aussi vaincu ma peur du noir en appliquant la méthode de Mémé Ciredutemps, qui « marchait vite dans le noir, du pas assuré de celle qui est certaine que les bois, par cette nuit humide et ventée, recèlent des choses étranges et terribles et qu’elle en fait partie. » (Trois soeurcières)
Au niveau professionnel, j’ai compris le monde universitaire quand j’ai lu que « en matière d’instruction, l’Université de l’Invisible pratique l’ancestrale méthode qui consiste à mettre des tas de jeunes gens dans le voisinage d’un tas de livres en espérant que quelque chose passe des uns aux autres, tandis que les jeunes gens en question se mettent dans le voisinage de tavernes pour exactement les mêmes raisons. » (Les tribulations d’un mage en Aurient). J’ai découvert nombre d’affreux petits secrets de management en regardant gouverner Vétérini le Patricien – et tout ce qu’il ne faut pas faire en écoutant hurler Mustrum Ridculle, l’Archichancelier – auteur cependant d’une définition de l’autorité particulièrement judicieuse : « Je suis l’Archimage de l’Université de l’Invisible, moi ! Je n’ai qu’un mot à dire et mille enseignants-mages me, euh – me désobéissent, en fait, maintenant que j’y réfléchis. Ou ils disent « Quoi ? » ou ils se mettent à ergoter. » J’ai aussi compris pourquoi j’aime les bibliothèques :
« De grosses quantités de magie peuvent sérieusement déformer le monde ordinaire, aussi prétendait-on que la bibliothèque [de l’université de Magie] n’obéissait pas aux lois habituelles de l’espace et du temps. On disait qu’elle s’étendait à l’infini. On disait qu’on pouvait errer des jours durant parmi ses rayonnages les plus reculés, qu’il y vivait des tribus perdues d’étudiants de doctorat*. »
* « Tout ceci était faux. La vérité, c’est que même les grosses collections de livres courants déforment l’espace. Une bonne librairie n’est qu’un trou noir qui sait lire. » (Au guet ! )
Comme écrivain, j’ai remis en cause ma vision de la poésie lyrique avec la fameuse tirade de Ridculle : « Vous connaissez les expressions du genre « Elle avait un rire comme un torrent de montagne » ? Des conneries, la poésie. J’ai écouté des torrents de montagne, et ça fait seulement dégouline dégouline. C’est comme « Elle avait les lèvres comme des cerises ». Petites, rondes, avec un noyau au milieu ? » (Nobliaux et sorcières) Que complète agréablement cette description d’Ankh-Morpork, ville qui « vibre et déborde réellement d’une vie pleine d’entrain. Et c’est la vérité, quand bien même ce sont les poètes qui l’affirment. Mais les non-poètes de répliquer : Et alors ? Les matelas aussi débordent souvent de vie et personne ne leur consacre des odes. » (Les zinzins d’Olive Oued). J’ai aussi compris pourquoi je restais parfois à bailler devant un écran blanc : « De petites particules d’inspiration pleuvent sans arrêt dans tout l’univers et la plupart ratent leur but. Par exemple, la vue d’une troupe de chevaux blancs galopant dans un champs de jacinthes sauvages aurait amené un compositeur en mal de succès à écrire la célèbre Suite du dieu volant et à dispenser aide et réconfort à des millions d’âmes en peine, s’il n’était pas resté chez lui cloué au lit avec un zona. L’inspiration tomba donc sur une grenouille voisine, laquelle n’était guère en mesure d’apporter une contribution éclatante dans le domaines de la poésie symphonique. Que les dieux permettent encore ce genre de choses demeure un mystère. » (Sourcellerie) Et j’ai découvert l’art de transformer le merveilleux en trivial en écoutant discuter Nounou Ogg et Mémé Ciredutemps :
– Une fois, elle a changé une citrouille en carrosse.
– Ca rend service à personne de s’amener dans un bal en puant la tarte au potiron. (Trois soeurcières)
Spirituellement, j’adhère tout à fait à la vision de Pratchett (surtout en ce qui concerne le prosélytisme religieux) : pour lui, la vie après la mort commence par un grand désert, et la certitude que « l’un dans l’autre, ça aurait pu être pire » (Petits Dieux). Au bout du désert, il semble qu’on trouve ce qu’on s’attend à y trouver, « aussi les défunts échouent-ils en Enfer uniquement s’ils ont l’intime conviction qu’ils ne méritent pas mieux. Et ils y échappent s’ils n’en ont jamais entendu parler. De l’importance de tirer à vue sur les missionnaires. » (Faust Eric)
Philosophiquement, je ne me suis jamais vraiment remise du dialogue entre Om (Dieu sanguinaire) et Frangin (adorateur d’Om qui essaie d’enseigner à son Dieu un minimum de morale sociale) de retour d’une ballade en Ephébie (décalque de la République athénienne) :
– As-tu déjà entendu parler d’éthique ? demanda [Frangin à Om].
– Quelque part dans les terres d’Howonda, non ?
– Les Ephébiens s’y intéressaient beaucoup.
– Ils comptaient sûrement l’envahir.
– Ils avaient l’air d’y réfléchir souvent.
– Une stratégie à long terme, peut être.
– Mais je ne crois pas que ce soit une ville ou un pays. C’a plutôt rapport avec la vie des gens.
– Quoi ? Se prélasser à longueur de journée pendant que des esclaves font tout le boulot ? Tu peux me croire, chaque fois que tu vois une bande de connards se balader en discutant de la vérité, de la beauté et du meilleur moyen d’attaquer Ethique, tu peux parier tes sandales, c’est parce que des dizaines d’autres pauvres connards font tout le boulot dans le coin. (Petits dieux)
Depuis, chaque fois qu’on me parle d’une nouvelle façon d’améliorer le sort de l’humanité, je demande toujours : « Et qui va se taper le ménage derrière ? »
J’ai même découvert, avec le Bagage, que j’étais en communication karmique avec Pratchett : en 1985, mon premier perso de Donjons et Dragons était une magicienne demi-elfe qui traînait derrière elle une samsonite verte à roulettes, laquelle contenait un ouvrage de dame, un pliant, et tout un arsenal de magic missiles et de boules de feu. A ce détail près que, quand ma magicienne allait au bistrot, sa valise ne se glissait pas « auprès des consommateurs pour les terroriser afin qu’ils lui donnent des chips. » (Sourcellerie)
Et je ne remercierai jamais assez Pratchett pour son célèbre : « Quand on ignore les règles, elles se débrouillent presque toujours pour se réécrire afin de cesser de vous concerner. » (La huitième fille). Depuis, ma vie est tellement plus simple.

Quand j’ai appris, il y a huit ans, que Pratchett était malade, mon univers s’est fendillé. J’ai suivi dans le Disque-monde, de page en page, et sur la Pratchett’s fan’s ring (merci Vade-Mecum et tous les autres) sa lutte et ses défaites contre la maladie. Quand j’ai appris sa mort, je me suis dit comme tout le monde que, étant donnée la nature de son mal, c’était mieux pour lui. J’ai mis vingt-quatre heure à admettre que si c’était mieux pour sa maladie, ça ne l’était pas du tout pour lui, ni pour moi, ni pour personne. Heureusement aujourd’hui, grâce à Lui, je connais la recette contre le chagrin : il me suffit d’aller dans une bonne librairie et de demander le dernier – ah non. Et merde.

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