Le jardin de Charlith

Le jardin de Charlith

in Lilith et ses soeurs, 17 reflets de la femme obscure, Ed. de l’Oxymore, coll. Emblémythiques, 2001

Première nouvelle publiée, dédicacée aux hormones démentes de l’adolescence. Le jardin dont il est question est à Val profonde, en Bourgogne.

 

Charlith riait aussi, montrant sa petite langue rose et ses dents glacées. Peu à peu, il est devenu évident qu’elle avait le béguin pour Dieter. Pas plus que les autres filles ne s’étonnaient de l’attraction que Charlith exerçait sur nous, probablement parce qu’elle l’exerçait aussi sur elles, nous ne nous sommes étonnés de cette préférence. Dieter était le plus beau d’entre nous. Il avait un de ces caractères peu expansifs qu’on qualifie de mystérieux et qui fascinent comme les loups de carnaval, inexpressifs et élégants. Le masque ôté, Dieter était un crétin. Mais cet été là il est devenu le chevalier servant de Charlith, c’est à dire qu’il s’asseyait près d’elle, qu’il cueillait des roses et les lui offrait après en avoir enlevé les épines ; que lorsque Charlith perdait une épingle de son chignon, Dieter la ramassait. Ça semble idiot, mais quand une plume ou une graine de pissenlit se prenait dans les cheveux de Charlith, Dieter et Dieter seul avait le droit de l’ôter. Il avait le droit de toucher ce pelage, le droit de se pencher sur elle et de la respirer. Il avait le droit, lui et lui seul, de vivre dans son cercle, le droit d’observer de près le grain de sa peau, d’approcher sa bouche de son oreille sous prétexte de lui faire une confidence, de voir tout près de ses lèvres s’entrouvrir les lèvres très rouges de Charlith, de respirer son haleine. Il n’y a rien d’aussi atroce ! Je voyais les veines de Dieter gonfler sur ses tempes quand, levant le bras pour arranger une mèche, Charlith lui envoyait en pleine figure l’odeur de son aisselle et en plein oeil le mouvement d’un sein.

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