[nos amis les gens] La chèvre et le piquet
(un pré)
Bruno L. : J’ai beaucoup appris en feuilletant des manuels de philosophie. Des manuels scolaires. Ils m’ont toujours donné l’impression de regarder à la longue vue la pensée humaine en train de cheminer sur la route des siècles.
Cette déambulation a des allures circulaires : interrogeant les cieux et spéculant à l’infini sur leur absence de répondant, l’homo cogitans tourne autour de l’idée de Dieu comme une chèvre autour de son piquet. Il réussit peu à peu à creuser une ornière tellement profonde que son horizon se résume à un mur de terre fourré d’ossements. Et omnia vanitas. Aucune importance : il continue à spéculer comme si de rien n’était, ergotant sur la nature d’un bout de bois comme autrefois sur l’Idée de Nature.
L’herbe venant quand même à manquer, l’homo cogitans tire sur sa longe pour sortir de l’ornière. Sitôt fait, il se remet aussitôt à tourner en rond. « Le piquet est mort ! » bêle-t-il, de grosses larmes d’angoisse coulant de ses yeux bêtes.
Aujourd’hui il tourne toujours, secouant sa longe avec soulagement tout en regrettant l’orbite simple que le piquet lui imposait.