Déchiffrer la ville [chronique]

L’article est mais ce n’est pas du tout celui que j’avais écrit, car nom de nom, il FAUT lire Utopies réelles !

 

Vivre dans le capitalisme et au delà

Erik Olin Wright, sociologue américain spécialisé dans l’étude des classes sociales, constate que les idées révolutionnaires anti-capitalistes ont fait leur temps : « nous vivons désormais dans un monde dans lequel ces visions radicales sont plus souvent tournées en dérision que sérieusement considérées. » La fin de ces utopies a laissé les citoyen-nes plongé-es dans un « fatalisme » quotidien : « L’idée que le monde social pourrait être délibérément et positivement transformé, de telle sorte que la plupart des individus puissent bénéficier d’une vie meilleure, leur paraît improbable. » Pour sortir de cette dépression, Wright établit un projet politique et social crédible :  une « transformation du capitalisme en direction d’un horizon post-capitaliste » en usant de « stratégies interstitielles. » L’érosion du capitalisme pourra se faire en cultivant des solutions concrètes dans les interstices sociaux, puis en les étendant à l’ensemble du corps social. « Les utopies réelles sont des institutions, des relations et des pratiques qui peuvent être construites ici et maintenant. » Wright dessine un futur désirable en s’appuyant sur des exemples concrets comme Wikipédia, « organisation fondamentalement anticapitaliste », le « conglomérat de coopératives autogérées » de Mondragon au pays basque espagnol, ou le mouvement open source. Il tente de lui donner « un cadre général », et élabore des « stratégies d’action collective et de lutte transformatrice. »

Philosophe de l’urbain, auteur de Désastres urbains, les villes meurent aussi, (La Découverte, Paris, 2015), Thierry Paquot relève, lui, les innombrables marques du capitalisme sur la peau de la ville, mais aussi la capacité de résilience du tissu urbain. Donnant la parole aux spécialistes de la ville mais aussi à ses contemplateurs – poètes, promeneurs et artistes –, il va des « abribus cailloutés par des jeunes en colère » jusqu’à la « zone » et sa population de biffins, victime « d’une ségrégation aussi violente qu’elle est silencieuse et anonyme. » La promenade s’intéresse aux espaces urbains (« carrefour », « espace vert », « rue », « trottoir ») et à l’usage de ces lieux. L’ « aire de jeu », par exemple, fait le tour du monde, depuis « l’aire de jeu du parc de Belleville sur la butte Piat (dans le XVIIIe arrondissement) » de Paris jusqu’au « parc Markos Paz, non loin de Buenos Aires » en passant par Copenhague et ses trois places unifiées « en utilisant plus de cent objets appartenant aux soixante cultures qui cohabitent dans le quartier (bancs brésiliens, balançoire irakienne, ring de boxe thaï, fontaine marocaine, vélo finlandais) », New York, Copenhague, et tous les « bricolages étonnants au Cameroun, au Brésil, en Chine, en Inde, au Mexique, en Bolivie, etc. » D’autres usages sont abordés (« skateboard », « vide-grenier », « pique-nique »), ainsi que les langues employées (« argot », ou plutôt les argots, louchebem, javanais, verlan, slang ou veul). Les événements (« attentat », « catastrophe » mais aussi « chantier » et « carnaval », qui relève désormais « à l’instar d’Halloween […] du mimétisme mercantile ») alternent avec les plus modestes témoins : le « chewing-gum », cette « occupation d’attente  d’une occupation », la « bouche d’égout » ou encore, le « nain de jardin », un ornement « qui caractérisait le goût pauvre des pauvres banlieusards (en souvent de leur enfance rurale), [qui] devient kitsch, puis « branché » ou « chic » chez les éduqués des villes. ». Viennent enfin les passants (« pickpocket », « vagabond » et « touriste ») avec leurs modes d’expression (« affiche », « arts de la rue » et « graffiti »). « Parce que l’urbanisation se révèle planétaire et qu’elle s’effectue parfois contre la ville ou sans elle. »

Lui aussi fasciné par la ville, l’écrivain et poète belge Stefan Hertmans y voit « un catwalk, la scène de l’homme contemporain. » Arpentant Dresde, Marseille et Sydney, il retrouve le rêve de Salman  Rushdie et Jacques Derrida : « sur le plan des relations interhumaines, la ville reprendrait le rôle pionnier qui lui avait été dévolu par Baudelaire : être chef de file dans la normalisation de relations qui ne se passent pas aisément dans d’autres parties du monde. » Et ainsi, créer des « villes de refuge » au nom du « devoir d’hospitalité. »

Utopies réelles –  Erik Olin Wright, trad. Vincent Farnea et Joao Alexandre Peschanski, La Découverte, Paris, 2017, 613 pages, 28 euros.

Dicorue, vocabulaire ordinaire et extraordinaire des lieux urbains –  Thierry Paquot, photographies de Frédéric Soltan, CNRS éditions, Paris, 2017, 476 pages, 32 euros.

Entre villes – Stefan Hertmans, trad. Monique Nagielkopf, Castor Astral, Paris 2003 et 2019, 326 pages, 11,9 euros

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