L’immortalité moins six minutes

L'immortalité moins six minutes

(Quand les Dieux buvaient, Tome 0)
Illustration de Didier GRAFFET
Editions NESTIVEQNEN
(Coll. Fantasy, Mars 2007, prix : 18,50 €)
288 pages, ISBN 978-2-915653-37-3

Titre original

Même les ascenseurs ont besoin d’amour. En fait, dans ce livre, il devait y avoir des sirènes. Les sirènes auraient dû tenir le rôle central. Je me suis documentée sur les hauts-fonds, les bas-fonds et les abysses, j’ai haut comme ça de docs sur la flore et la faune coraliennes, mais le livre n’a pas voulu.

A chaque chapitre, je me disais : Cette fois, je fais rentrer les sirènes.

Mais aucun chapitre ne s’est laissé faire. C’est pourquoi j’ai décidé d’appeler ce livre Pas la queue d’une sirène. Mais l’éditeur n’a pas voulu, sous prétexte que ce titre n’avait ni queue ni tête.

On n’est pas aidé.

Temps de rédaction

Deux ans dont un enfant.

Mes contrariétés

Ce devait être un livre chez les sirènes, centré sur la thématique de la dictature. J’ai haut comme ça de témoignages poignants sur les conditions de détention dans les prisons chinoises. Mais le livre n’a pas voulu.

Il a préféré traiter de l’aspect gastronomique du film Le seigneur des anneaux de Peter Jackson. Avez-vous remarqué qu’à chaque fois que les hobbits se préparent une bonne nappe, le ciel leur tombe sur la tête sous forme de nazgul ou d’olifant ?

Toute la problématique de mon livre tourne autour de cette question : qui, au bout du compte, s’est goinfré le lièvre chassé par Gollum et le bacon grillé par Merry ? Je n’en suis pas fière.

Mes contrariétés, suite

Grâce à Claire Panier-Alix, j’ai pu relire tous les Astérix, et créer un village nain d’allure franchement gauloise. Merci, Claire.

Grâce aux avis avisés d’Audrey Petit et de Jean-François Seignol, qui ont lu la première version de mon livre et m’ont tous deux affirmé « Vire les nains ! On s’ennuie », le bouquin a maigri de 30 000 signes. Ils sont là, du côté de Joliflûtiau. Merci à eux pour ce bel effort.

Tant qu’à faire, ils m’ont aussi conseillé de ratatiner une discussion entre Pétrol’Kiwi (fée des arbres) et Service-client (tenancière d’herboristerie). Voici un morceau de ce qui vous a été épargné :

L’herboristerie de la rue Sainte Bérégonne

Service-client était en train d’aiguiser une vieille boline à manche en os.

– Saleté de racine d’aigremoinde ! Ca m’émousse le fil en trois coups.

– Tu cultives l’aigremoinde ? s’étonna Pétrol’Kiwi. C’est du chiendent, l’aigremoinde. Ca pique, ça graine partout et ça mite les racines des cactées.

– Oui mais, suspendu en tresses aux fenêtres, c’est souverain contre les larves sub-éthériques et les vampires psychiques.

– C’est quoi, ces sonneries ? grogna Pétrol’Kiwi. Il n’y a plus d’invasion de larves depuis qu’on a traité les charpentes au cyclotron, et les vampires psychiques ont obtenu la nationalité post-ethereal au Concile Admonestatif de…

– Si tu répètes ça à qui que ce soit, tu peux faire une croix sur ton Shu-Shen, dit sèchement Service-client. L’angoisse est au commerce ce que la levure est au pain, et le commerçant vit dans la mie.

Il me reste à rendre à Claire sa collec’ d’Astérix.

Voici la première page

Naissance d’un miroir magique

A un kilomètre du village de Pistou, dans une toute petite clairière qui trouillotait d’une pastille de clarté blonde le coeur obscur de la forêt, deux fées étaient assises l’une à côté de l’autre.

Le soleil, passant ses pinceaux ardents entre les feuilles dentelées des chênes, posait des glacis brillant sur leurs cheveux pâles et les fines soieries dont elles étaient vêtues. Des nuages de pollens dansaient dans l’air statique, frais et lourd d’humidité. Les crosses des pougères dégouttaient de rosée, de petits champignons, roses et ronds comme des orteils, montaient en meute à l’assaut d’énormes racines moussues. Les deux fées discutaient entre elles, de leur voix mélodieuse, ou disons que l’une d’elle monologuait tandis que l’autre faisait assez mal semblant d’écouter :

– Tu crois qu’il m’aime ?

– Comment ?

Assise sur une branche basse capitonnée de lichen bleu, la fée Babine-Babine se balançait doucement. Son œil était rêveur, et son minois transpirait de niaiserie. Elle mâchonnait le bout de son pouce étroitement bandé – c’est à des détails comme ça qu’on reconnaît les apprenties ensorceleuses. La fée Pétrol’Kiwi, elle, était en train de préparer sur ses genoux, dans un pot de bois, un nouvel onguent anti-mycosique dont elle attendait des effets miraculeux contre la spongiure du bouleau. En tout cas, plus miraculeux que ceux de l’onguent précédent, lequel dissolvait le parasite, l’écorce, le pot et ses genoux avec un appétit égal.

– Tu crois qu’il m’aime ? répéta Babine-Babine. Loki. Le korrigan dont je viens de te parler pendant un quart d’heure. Oui ?

– Le grand dépendu aux cheveux rouges ? Je pensais que cette saison, tu en étais à l’elfe noir ? Celui qui se fait appeler Porteur-de-tempête ?

– Moudubas ?

– Voilà.

Pétrol’Kiwi ricana dans son pot. Car elle même portait pour vrai patronyme la croix pesante de Tendance-haussière, aussi estimait-elle qu’elle avait bien le droit de se moquer.

– Vois-tu, analysa Babine-Babine, je crois qu’entre Moudubas et moi, ça n’a jamais été vraiment sérieux. C’est un très bon ami, bien sûr, mais je le trouve un peu immature, tu vois ?

– …

– En fait, je crois qu’il a peur de s’attacher. L’idée de devoir faire un choix l’angoisse terriblement, tu vois ?

– …

– Tu pourrais faire un effort pour t’intéresser un peu à autre chose qu’à toi, grommela Babine-Babine dans son pansement.

– Moudubas est un crétin, déclara Pétrol’Kiwi d’un ton à glacer définitivement les confidences les plus subtilement analytiques.

– Tu es dure. Je crois qu’il se cherche, c’est tout.

– Eh bien, pour se trouver, il est pas rendu. Sauf s’il est caché au fond d’un poulailler.

– Alors ça ! s’étrangla Babine-Babine, ça, ce sont des ragots immondes que fait courir Pimprenouche, sous prétexte qu’il n’a pas voulu danser avec elle à la dernière orgie de solstice.

Pétrol’Kiwi haussa les épaules et commença à badigeonner, au pinceau, une grosse plaque de spongiure bleuâtre qui rongeait le flanc d’un bouleau :

– Il n’empêche qu’il paraît que beaucoup de nains ont constaté que, là où Moudubas passe, les poules trépassent. Et pas de la scarlatine.

Babine-Babine, qui pensait déjà à autre chose, recommença à se balancer sur sa branche en grignotant son pansement :

– Et que penses-tu de Loki ? Il est terriblement mûr, lui. Non ?

– Oh, si. Si c’était une tomate, il faudrait se dépêcher de préparer la vinaigrette. Il est rouge blet, ce pauvre garçon.

– On ne peut rien te dire, soupira Babine-Babine.

– Ecoute, dit Pétrol’Kiwi en se reculant un peu pour évaluer le bien-posé de son badigeon : les korrigans sont moins méchants que les elfes, mais seulement parce qu’ils sont encore plus feignants. La seule chose que tu as en commun avec Moudubas et Loki, c’est le feu aux fesses, alors arrête de penser. Il n’y a qu’un organe pour ça, et il n’est pas concerné par vos affaires.

Voici le crayonné, la version poche et le tome suivant.

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