[nos amis les gens] Ecrire de la fantasy : how to
(En amical souvenir de la Ligue Deu, qui fut notre cheval de Troi)
Chers amis, je vous sais aficionados de la fantasy la plus échevelée, et prêts à en suer des litres pour accoucher, fut-ce dans la douleur, de ces milliers de pages bourrées d’épées qui font le régal des petits, des grands et des libraires. C’est pour cette raison que je me suis décidée à éclairer d’un phare puissant le chemin rocailleux qui mène de l’imaginaire cérébral à l’ouvrage dûment prolexé et expédié à l’office par cartons de vingt afin qu’au terme d’une longue et épineuse route, vous puissiez voir se lever sur l’horizon flamboyant le mot FIN en Helvetica 24 ainsi que le chèque d’avance déduction faite de la CSG.
A la ligne.
Voilà donc quelques conseils concis.
1) Munissez-vous de papier, d’un critérium avec une gomme à l’autre bout et d’un plan de Poufflon sous Sénart.
2) D’abord, plantez le décor. Il vous suffit, pour ce faire, de remplir la fameuse « boite à qualificatifs ». Quelques exemples de « boite à qualif’ » ? « Rocailleux, aride, stérile, sable, poussière, soif, desséché, ossements… » (décor désertique). « Moussu, humide, vent coulis, pin, sapin, champignon, bruine, pluie, cumulo-nimbus, fougères, enrhumé… » (zone montagneuse à résineux). « Arthritique, poilu, ridé, perfusion, linoléum, Aspégic, pistolet à pipi… » (Service gériatrique, plus rare).
3) Ensuite, plantez le héros. Facile : c’est un homme puissant. Si c’est une femme, c’est pareil. Il suffira de remplacer le terme « puissant » par « musculeux » ou « voluptueux » (un bras puissant, un torse puissant, une mâchoire puissante, etc).
4) Habillez le héros. Ca revient en gros à l’armer. Allez sur Wikipédia / Moyen-âge et ne pleurez pas les voulges, guisarmes, morions, solerets et autres tabards. Renseignez-vous quand même un peu sur la différence entre une barbute et une cnémide, que votre héros ne se ballade pas avec son slip sur la tête.
5) Plantez le méchant. Il suffit de redécrire le héros avec un dictionnaire d’antonymes sous la main (« Impuissant, rachitique, gaulée comme un arrière d’autobus »).
Attention ! Le « méchant mais sexy », de même que le « méchant sympa tout au fond », sont prohibés. On n’est pas chez Choderlos de Laclos.
6) Toponymie : c’est une science indispensable. Imaginez qu’au lieu de Melniboné, Elric ait habité Poufflon sous Sénart : il n’aurait sûrement pas eu le même succès.
Heureusement, c’est une science facile. Tenez, posez votre doigt au hasard sur cet écran. Vous avez épinglé quel mot ? Puissant ? Parfait. Maintenant, virez moi une lettre. Non, pas le « u », crétin. Le « a », plutôt. On obtient ? Puiss’nt. Très joli. Maintenant, prenez l’initiale et faites lui descendre l’alphabet. Quiss’nt. Pas terrible. Alors, remontez l’alphabet : Nuiss’nt ? C’est pas classe, ça, Nuiss’nt ? Ca l’est. Votre héros habite désormais Nuiss’nt. Ou s’appelle carrément Nuiss’nt, si vous préférez.
Si c’est une femme, ajoutez un a à la fin. (« Nuiss’nta ramena son bras musculeux contre son torse voluptueux etc ».)
Faites pareil pour tous vos personnages, lieux, dieux, tribus, marques de bière et corps d’armée.
6 bis) Point Godwin : si vous oubliez de donner à votre héros une épée affublée d’un nom puissant, allez en prison, allez directement en prison, ne passez pas par la case départ, ne touchez pas 20 000 euros.
7) L’intrigue : c’est la vengeance. Le héros veut se venger du méchant et c’est tout. Ca va lui prendre 800 pages mais ne vous inquiétez-pas : elles viendront toutes seuls (voir « 9) Poufflon sous Sénart »).
8) La coda : c’est un twist. Le héros tombe amoureux du méchant / se révèle être une femme / découvre que le méchant est une femme / sa mère / sa sœur / sa fille / lui-même / un golden retriever habilement grimé / mort depuis longtemps / celui qui a volé la cassette / la couronne / le diamant / la clef de la cité d’or / son dossier médical / fiscal / de demande de subvention auprès du CNL / autre.
9) Poufflon sous Sénart : c’est là qu’est l’os. Il va vous falloir inventer le pays dans lequel votre héros va trainer sa haine et le méchant, ses sortilèges chassieux.
Munissez-vous d’une ramette de 500.
Ouvrez votre plan de Poufflon sous Sénart et barrez « Cité des Alouettes ». A la place, écrivez « Lande des trolls ». Barrez « Bd Paul Vaillant Couturier » et marquez « Ancienne route aergélienne ». Barrez « Centre d’action culturel » et inscrivez « Palais ducal ».
Ad lib.
Puis inscrivez en haut d’une feuille blanche : « Lande des trolls, 300 ans plus tôt ». Et ensuite, un œil sur votre feuille et l’autre sur votre plan, lâchez-vous !
« Sous la pression démographique, le peuple des trolls landais, autrefois si uni, se scinda en deux groupes ennemis : l’un traversa, au prix de nombreuses pertes, l’impétueux fleuve d’El Sqalaïs (ex-échangeur A3) et envahit la contrée verdoyante de Mnata (ex-Centre d’Education fermé). Jlaïc, le jeune et courageux roi de Mnata, au désespoir, fit appel aux sinistres troupes de Phronom (ex-avenue Victor Hugo) etc, et c’est alors que le sinistre Enasthase, Grand Chashlic de Pnüm (ex-Office du Tourisme), lança sur le peuple troll la malédiction du etc… la bataille, terrible et meurtrière, se déroula à l’aube, au pied de la sinistre Colline des Ossements (ex-Zone Franche Urbaine) etc, on traquera les répétitions plus tard.
Ensuite, passez aux elfes. Puis aux hommes. N’oubliez pas les dieux. Et les fées. Songez aux lutins. Mais évitez les orcs si vous ne voulez pas de soucis avec le copyright.
Dans peu de temps, votre héros ne pourra pas mettre un pied où que ce soit sans violer une frontière ou une forêt sacrée, ou simplement faire une mauvaise rencontre. Rien qu’en le promenant sur votre carte à la poursuite du méchant (qui habite à l’autre bout, bien sûr, ne soyez pas stupides, non plus), il se prendra au moins une bouse sur le tabard par page.
Une bonne carte, c’est la clef de tout.
10) L’arc : L’arc est une obligation inscrite dans la Charte des Scénaristes Hollywoodiens. Un arc, c’est une trajectoire de mûrissement psychologique. En clair, c’est quand le héros commence con comme une meule et finit chiant comme un épisode de Derrick. N’hésitez donc pas à installer, de loin en loin, votre héros dans une pose méditative : « Que suis-je, où vais-je, ma vie a-t-elle un sens, pourquoi un golden retriever ? » etc.
A la fin, faites-le considérer l’horizon lointain d’un œil philosophique. Un soupçon de vent dans ses cheveux burinés parachèvera votre dernier paragraphe.
11) Scènes obligatoires : Outre l’arc, il vous faut une scène de torture (quatre pages, l’éditeur coupera selon son lectorat), une scène de sexe (idem, mais choisissez une boite à qualif de type « humide, turgescent, miel, hampe, gémissement, téton » plutôt que « cocklace, aiguille, fouet, cône de chantier »), et une de nostalgie (« Hélas, la tombe de ma mère / sœur / vieux mentor / golden retriever… »). En option : l’agonie du vieux mentor (« Ce jour est un beau jour pour mourir », « Fatigué je suis », « Le trésor est dans le… le… »), la fête dans le palais, la cuite dans l’auberge, le croupissement en geôle et l’épidémie de peste / choléra / vérole / chiasse, non, je plaisante.
Voilà, ami de l’imaginaire ! Je te crois désormais bien armé pour affronter courageusement, sur plus d’un million de signes, le mur glacé de l’écran blanc. My pleasure.
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