[nos amis les gens] La vraie vie d’un écrivain en tournée
Cher journal,
Vendredi soir : après un voyage en train sibérien (la clim était bloquée sur freeze), j’arrive à Cluj. Il est tard, c’est la fin de la semaine, je boirais bien une bière. Je demande à mon guide où est le pub. Il ricane : Cluj est pub free. Où est le bar local, alors ? Ricanement derechef. Cluj est nightlife free. Ah. J’appelle Fanche pour lui demander d’acheter une bouteille : il me répond que Cluj est shop free. En fait, Cluj est all free. On n’y trouve que des sapins et des usines de décolletage en pleine délocalisation.
Hyper.
Je retrouve Fanche au milieu d’une MJC hâtivement grimée en salon du livre. Il y a un apéro, mais pas de cacahouètes. On nous sert une assiette de patates, mais il n’y a pas de sel. Retour à l’hôtel : une taulière revêche accepte de nous servir une bière. Et pas deux parce qu’il est 20h27 et qu’à 20h30, Cluj devient life free.
Je vais me coucher dans une chambre chauffage free. J’informe la taulière que j’ai froid, elle me répond qu’elle non, je dis des gros mots. Dodo.
Lendemain matin, buffet au radar, salon désert, je fais la découverte de Delly et d’un journaliste du Clujien Libéré extrêmement bien (il a fait paléontologie avant journalisme, tout mène à tout.). Petits fours, conférence avec Fanche, il y a du monde, signatures, je croise même des gens qui lisent des livres avec leurs yeux, c’est fou. X refuse de me donner des ragots sur Y, le cruel. A 17h45, je me fais rapatrier sanitaire à l’hôtel. En fait, c’est pour voir le match de rugby, j’ai un peu honte mais tant pis.
Début de match, j’appelle Gyp parce qu’on a décidé de s’appeler à chaque essai, mais l’équipe d’en face est si nulle qu’on arrête de s’appeler au 6ème essai. J’éteins au dixième. Je n’aime pas quand on gagne. Ni quand on perd, d’ailleurs. J’aime quand ça fragge.
Back to the salon. Fanche est déjà reparti prendre son TGV. J’apprends que je viens de rater le Prix du Volet roulant. Je mâchouille du fromage en discutant Alzheimer avec des autrices jeunesse. Ca m’inquiète.
Retour à l’hôtel, je me suis promis de rentrer les corrections de mon dernier livre, alors je descends au bar avec mon notebook. Je réussis à négocier une bière et je m’installe à côté d’un quarteron d’écrivains. L’un me dit s’appeler Jean-Pen Blès de Roblas, je me dis qu’il se moque.Le lendemain, j’apprendrai que si, il existe vraiment. Mes voisins accumulent les whiskys en discutant, je découvre que, quand on décroche le Médicis, on touche 150 000 euros, ce qui console. Un papou passe. Il est en feuillage comme je suis en jean, il doit avoir froid. Il m’informe qu’il fait une tournée internationale pour présenter son pays aux indigènes que nous sommes. Bon sang, à sa place, j’aurais choisi la Provence plutôt que la Roumanie.
La taulière nous envoie au lit à 22h01. C’est que Blès de Roblas lui a fait du gringue, il a obtenu une demi heure de promenade en plus.
5h45, le réveil sonne. 7h27, j’erre avec jouissance dans un TGV presque vide entre deux panoramas splendides, des lacs couverts de cygne et perdus dans la brume. Il ne manque que Siegfried.
10h50, retour chez moi.
Bref. Je suis allé à Cluj.