[nos amis les gens] Les belles années 80
(zinc du Piston, Paris)
[pilier 1] Tu as lu ça ? « Il tabasse son professeur en plein cours. » Non mais jusqu’où s’arrêteront-ils ?
[pilier 2] Mais ils n’ont jamais arrêté, arrête. Tiens, moi, j’étais au lycée dans les années 80, les belles années 80, parait-il. Joli quartier, Montparnasse, le contraire de la zone. Et parmi tous ces petits élèves de bon lieu, il y avait une très jolie métisse nommée Santa. Elle portait de petites perles dans les cheveux, je me souviens. Toute fine, une nuque de reine. Un jour, en cours d’anglais, elle parle avec sa voisine, le prof lui demande de se taire. Elle répond, il répond, il en arrive à lui sortir quelque chose comme « retourne sur le trottoir d’où tu viens. » Ni une, ni deux : Santa sort de la salle de classe, file au réfectoire, prend un couteau, revient et essaye de poignarder le prof. J’étais dans la salle d’à côté, je me souviens, tout le monde criait et pleurait. Et puis, on n’en a plus entendu parler. Un peu plus tard, le prof est passé dans une émission sur la violence scolaire, il a expliqué que tous ses collègues l’avaient laissé tomber, et voilà.
– Et Santa ?
– Je n’en sais rien. Elle a été virée, ou elle n’est pas revenue. On a parlé de drogue, de procès, de suicide. La seule chose certaine, c’est qu’au réfectoire, il n’y avait que des couteaux à bouts ronds. C’est la première réflexion qu’on s’est faite : comment veux-tu planter quelqu’un avec un couteau à bout rond ? La deuxième, c’est qu’on s’est demandé à quoi elle avait pensé pendant tout le temps où elle a marché vers le réfectoire, et tout le temps où elle en est revenue, un couteau à la main. Parce que ça faisait un bout de chemin. On s’est demandé ce qu’elle avait dans la tête pendant tout ce moment là.