[les choses qu’on ne nous dit pas] la parabole de la robe neuve
(boulevard René Coty)
Popite O. : Quand j’étais jeune, une de mes amies avait une mère héroïque. Une ancienne résistante, une vraie. Une qui franchissait la ligne de démarcation à vélo avec des tracts plein les tubes de son cadre, une qui s’est faite arrêter par la Gestapo et tout. Une héroïne. Et un jour, cette dame nous a raconté en rigolant (elle rigolait tout le temps) comment elle avait été arrêtée.
Elle courait, elle courait, coude à coude avec un de ses copains, elle courait dans un champs avec la mort aux trousses – les Allemands, la Milice, je ne sais plus. Les balles sifflaient autour d’eux, son copain lui tenait la main et tout à coup, il a été touché. Il s’est effondré en l’entraînant avec lui, elle s’est étalée dans la boue.
« Je suis tombée dans la boue et la seule chose à laquelle j’ai pensé, c’est : « ma robe ! » C’était très difficile de trouver du tissu à l’époque, je venais de toucher un coupon et je m’étais fait une robe neuve. La seule chose à laquelle j’ai été capable de penser à ce moment, c’était ça. Que ma robe neuve était pleine de boue. Ma robe ! Hihihi. »
Depuis, à chaque fois que je rencontre quelqu’un qui a traversé un moment horrifique, quel qu’il soit, et qui me dit avec encore plus d’effroi à quel point il a eu une réaction inadaptée (« Tu te rends compte ? La voiture s’écrase et mon premier réflexe… Tu te rends compte ? J’apprends que mon fils a un cancer et mon premier réflexe… »), je lui raconte cette histoire. Cette femme dans la boue, sa main dans la main d’un ami mort, la Gestapo à deux mètres derrière elle, prête pour la torture et le peloton, et qui pensait à sa robe. Et qui le racontait en riant, cinquante ans après. Le vrai courage, ça doit ressembler à ça. Accepter que le cerveau se mette en rideau.