« Innocent III venait d’être élu, et il n’était nul besoin de lui raconter des douceurs sur l’oreiller pour qu’il ne ronfle que plaies et bosses.
Une fois à Toulouse, l’Archange rongea quelque peu son frein : ça prêchait, ça conférençait, ça conciliait, ça consensualisait, ça coupait les cheveux en quatre et la Trinité en dix-huit. Comme Innocent III n’avait pas beaucoup plus de patience que lui, il prononça brutalement la déshérence de tous les fiefs méridionaux et appela à la croisade les barons du nord qui déferlèrent, trop contents de l’aubaine.
Les choses traînèrent encore, jusqu’à l’arrivée d’un ressortissant de la cour de Philippe Auguste, un petit barbu bedonnant qui s’était embarqué pour la croisade contre Constantinople avant de découvrir qu’il n’avait pas le pied marin et de faire demi-tour.
Simon de Montfort. »
(Page 121, chap. Rafale de bulles)
« […] Innocent VIII, dont les mœurs peu orthodoxes jointes à une foi vraiment catholique transformaient l’âme en champs de mines.
Ce brave garçon, qui en son jeune temps attirait fréquemment les épithètes affable, facile à vivre et mou du genou, ne devait sa mitre qu’à la certitude qu’avaient tous les autres cardinaux de pouvoir le manipuler. Elevé dans la pompe et la pourpre, il avait tout d’abord fait preuve d’un naturel congruent à sa qualité de fils de sénateur romain : dépensier, paresseux, assez sot et plutôt raffiné, très pieu et plus égocentrique qu’une toupie, et surtout assidûment fornicateur, il finit par tomber amoureux d’une de ses maîtresses et légitima leurs deux enfants, ce qui indique un tempérament affectueux. Evidemment, il les avait prénommés Franceschetto et Téodorina, mais ce sont des choses qui arrivent aux parents les mieux attentionnés.
Puis la Grande Machine des Ambitions Familiales lui était tombé dessus, le bombardant archevêque à 35 ans et cardinal à 41.
Un vertige le prit.
Il perdit son abord amène et commença à se ronger les ongles.
Tout d’abord, il essaya sincèrement de faire une croix sur ses appétences terrestres et de prendre goût à la soupe politique du Vatican. Il ne réussit ni l’un ni l’autre et attrapa la conviction qu’il n’était qu’un gros mauvais.
Suite à quoi il retourna à son innocuité dorée, toujours mollement, mais avec un sens aigu de sa peccative nullité qui lui gâchait les meilleurs vins.
Autant dire que quand on le catapulta pape, son vertige ne s’arrangea pas : ballotté entre les Médicis et les Borgia, il allait parfois faire la morale à Franceschetto, qui menait à deux palais du sien une vie pas du tout édifiante, et en sortait complètement bourré. Suite à quoi il passait le restant de la nuit à se ronger les ongles en pensant aux flammes de l’enfer qui guettent les mauvais papes et les mauvais pères. Et ce furent de bien mauvaises nuits, et longues et indigestes, car maintenant que cette fichue mitre lui était tombé dessus il disposait de tous les pouvoirs, hors celui qui l’intéressait. C’est à dire qu’il pouvait absoudre tout le monde, hors lui même.
Jusqu’à cette soirée bénie entre toutes où Dieu, ému de pitié, lui envoya un ange…
D’aucuns se doutèrent vaguement de l’apparition soudaine d’une influence méphitique sur l’âme du Très Saint Père quand celui ci se mit à faire égorger des petits garçons pour boire des coupes de leur sang, mais c’était à Rome comme partout : sitôt que le patron déraille, on parle d’autre chose en sifflotant. »
(Page 135, chap. Rafale de bulles)