Celle-là se situe dans le monde de Blanche-Neige et ses lance-missiles.
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Il était une fois, il y a très longtemps, dans un royaume très lointain…
Une forêt. Où domine le roncier. Au milieu, un château. Dans la cour sablonneuse du château se tiennent trois jeunes filles que vous croirez reconnaître. L’une est une beauté blonde nommée Aurore. Fille de monsieur Dubois père et de madame, née Dormant, c’est la propriétaire du château. Elle a été mariée à un prince charmant, environ une demi-heure, mais ceci est une autre histoire.
Trait particulier : ayant passé les cent dernières années à dormir, elle s’exprime dans un idiome désuet.
La deuxième est une beauté blonde qui renie son nom de baptême ; on la surnomme Peau d’Âne. Elle est tombée amoureuse d’un prince charmant qui lui a préféré Cendrillon mais ceci est une autre histoire, la même que celle citée précédemment d’ailleurs.
Trait particulier : ayant longtemps vécu dans une soue à cochon, elle ne s’exprime pas avec la grâce qu’on pourrait attendre d’une pucelle de haute graisse.
La dernière est aussi la plus jeune. Elle ne possède pas une goutte de sang royal et sa biographie n’a aucun panache. Elle porte une petite vareuse à capuche, couleur rouille, et une paire de sabots ; on la surnomme Tagueule.
Trait particulier : elle aime quand c’est propre.
Si ces trois jeunes personnes se trouvent dans un château à l’abandon cerné par des ronces, c’est qu’elles ont la ferme intention de faire fortune en exploitant le roncier : le marché régional du bois de construction est très porteur.
Peau d’Âne, sanglée dans une robe couleur dimanche-soir-de-novembre (peau de chagrin anthracite), sauta à bas du carrosse sur le sable de la cour et hurla :
« On a gâ-gné ! »
Aurore et Tagueule se mirent à faire la ronde en yodlant :
« On a gâ-gné ! »
Peau d’Âne leur tomba dans les bras, écarlate et décoiffée :
– J’en ai chié des rondins, les filles, mais j’ai emporté le stère !
– Grand merciement à toy, ma Peau ! s’exclama Aurore. Viens ça que je te baise !
– On a gagné quoi, au fait ? demanda Tagueule tandis que les deux princesses s’embrassaient.
– Eh bien… l’appel d’offre pour le bois de charpente du nouveau bordieau de la cité de Puralt ! lui répondit Aurore.
– Le nouveau quoi ?
– Ta gueule, conclut Peau d’Âne. Et les deux princesses se dirigèrent vers l’office où les attendait une bouteille de Pommes Furieuses grand cru.
« Pisque c’est comme ça, bouda Tagueule, je retourne faire le ménage. »
Les enfants, ça n’a pas le sens de la menace.
– Il y a quand même une chose que je voulais vous dire, lança Tagueule, debout sur le seuil de la cuisine et se dandinant sur un sabot. Vous savez que j’dors dans la soupente près de la chambre d’Aurore ?
– Si nulle des quatre vingt chambres de l’aile ouest ne te sied, par ma foy… dit Aurore.
– Ben l’aut’nuit, j’avions vu un grand méchant loup dans l’couloir. Oui ! Tout hirsute, qu’il était. Et j’ai eu peur, ça oui !
Sur ces mots, Tagueule s’en retourna à ses balais tandis que les deux autres filles échangeaient un regard lourd de sens.
Reste à savoir lequel.
La nuit était glaciale et terrifiante. L’immense bâtisse craquait de tous ses vieux madriers. Le long du grand couloir de l’aile ouest, une forme velue avançait lentement. Au fond de sa soupente, la couette remontée jusqu’à ras du nez, Tagueule claquait des dents.
– ZIP ! Boum. Fuc ! fit le grand méchant loup en dérapant sur une flaque de nettoyant ménager.
– Prends ça, vilaine bête ! piailla Tagueule en jaillissant de sous sa couette et en assénant un grand coup de balai-brosse sur la forme allongée.
– Mais ta gueule, à la fin ! hurla Peau en rejetant sa houppelande poilue et en attrapant l’autre bout du balai.
– Peau ? Mais… Qu’est-ce tu foutions ici, dans cette tenue et asteure ?
Peau était assise au pied du lit d’Aurore, toujours emmitouflée dans sa descente de lit en poil d’ostruche, une compresse sur le front et l’air furieux. Aurore était assise à la tête de son lit, l’air gêné, et Tagueule les regardait alternativement avec une expression de profond désarroi.
– Vous vous êtes… quoi ?
– Mariées. Enfin, balbutia Aurore, ce semble quelque chose d’approchant.
– Mais… mais ça s’peut pas !
– Peau et moi éprouvons en nos âmes mutuelles une… forte inclination et pour icelle raison nous sommes nous, en quelque sorte, eh bien… mariées ?
– Mais vous êtes des filles !
– Au moins, maintenant que tu es au jus, grogna Peau, je n’aurais plus à me geler les arpions pour aller chez Aurore en cachette.
– Mais ça peut pas s’marier, des filles !
Peau jeta un regard noir à Tagueule et aboya :
– On va être plus claires : Aurore et moi, on couche ensemble et c’est tout. Et si ça ne te plait pas, change de soupente. Il y en a sept cent cinquante rien que dans l’aile ouest.
– Il appert, reprit Aurore, qu’à attendre le prince charmant comme nous le fîmes si longuement, nous n’avons récolté que mistoufles et déceptions. Lors avons-nous décidé que…
– … que ça ne sert à rien de se névroser toute seule dans son lit et qu’il vaut mieux le faire à deux, conclut Peau.
– Vous… bégaya Tagueule, vous voulez dire que… que vous faites… que vous faites lit commun ? Dans les mêmes draps, à échanger vos microbes de pied ?
– Oh, ta gueule, soupira Aurore.
Peau posa sa compresse, se leva et flanqua énergiquement la porte sur le dos de Tagueule tandis que celle-ci, agitant toujours son balai-brosse dégoulinant de savon, piaillait avec horreur :
« Mais c’est dégoûtant ! C’est dégoûtant ! »
Puis les deux princesses plongèrent dans le lit et s’enlacèrent en gloussant de soulagement tandis que la petite Tagueule, debout sur un pied au milieu du grand couloir de l’aile ouest, continuait à brailler avec l’accent du désespoir :
« C’est pas hygiénique du tout ! »