[nos amis les gens] Espace, frontière de l’infini
(un resto)
Philippe J. : J’ai un copain, Peter, qui est psychiatre en hôpital de jour. Des cas lourds à tendance allégée. Des gens qui essayent de s’en sortir seuls au quotidien, avec quand même un accompagnement serré. Et d’abord, ils doivent assister à des séances de thérapie de groupe au sein d’un club. Le club des cèdres.
Un jour, Peter le Psy me dit : « Viens au club des cèdres, tu feras monde extérieur. » J’y suis allé, une fois par mois pendant un an. Au début de chaque séance, déjà, il fallait se mettre d’accord sur la date. Peter disait : « Bon, on est le 22 février 2013, une objection ? » Et des mains se levaient. Il fallait expliquer. Que pour la date, on n’a pas trop le choix. Déjà ça, ça prenait un quart d’heure. A la fin d’une séance, une des patientes est venue me voir :
– Alors vous, vous êtes qui ? Un membre du club, un soignant ?
– Euh, moi, je suis monde extérieur.
– Alors comme ça, on est le 22 février ? Mais pourquoi ?
Je lui explique qu’il y a une année divisée en jours, tout bien. Elle me demande : « Mais pourquoi des jours ? » Je lui explique le coup de la terre qui tourne autour du soleil, le jour qui se lève et se couche. Elle me dit : « Un soleil ? Vous êtes sûr ? » Je lui raconte le système solaire, la Voie lactée, les amas de galaxies, l’univers, tout ça. A la fin, elle hoche la tête et elle me dit : « Ah, je comprends mieux ».
Peter m’a expliqué : « Tu sais, la plupart de ces gens-là, quand ils se réveillent le matin, ils sont éparpillés partout dans la pièce. Ils ont les bras à un bout, les jambes à l’autre bout, la langue quelque part au milieu. Tous les matins, il faut qu’ils se rassemblent. Et une fois qu’ils sont rassemblés, il faut qu’ils se positionnent dans le temps et dans l’espace. Ca leur prend la journée. Et le lendemain matin, il faut qu’ils recommencent tout à zéro. La maladie mentale, on ne se rend pas compte mais c’est un travail à plein temps. »