Une idée qui m’est venue en visitant l’exposition L’ange du bizarre au musée d’Orsay. Avec tous mes remerciements à Evelyne Pieillier du Diplo.
Ma vérité (extrait)
[Interview d’Olive Thomas, 24/01/2036]
Tous les ans, pour la préparation du brevet des collèges, je donne un travail à mes élèves. Ils doivent fabriquer une application nomade en réalité augmentée, d’accord ? Une application destinée à être chargée dans leur cartable à puce. Moi, je ne suis absolument pas pour qu’on implante des puces sous la peau des gosses, mais est-ce que j’ai le choix ? Quand on sait qu’on va charger son propre programme sous sa propre peau pour modifier son propre champ de vision, on peaufine le travail, vous voyez ? C’est une façon pour moi d’impliquer mes élèves.
Au début, la plupart me proposent des applis utilitaires. Un truc qui scanne les pistes de skate, par exemple. Qui analyse la déclivité des rampes, la rugosité des revêtements et qui surligne les glisses en vert, en orange ou en rouge. Là, je leur explique que ce n’est pas possible, qu’on n’est pas en éco, qu’on n’est pas en techno, qu’on n’est pas en sport, qu’on est en arts plastiques et qu’ils doivent me rendre un travail d’arts plastiques. Une fois qu’ils ont compris ça, mes élèves codent des tags sur les plans verticaux ou des lacs sur les plans horizontaux. Des murs de couleur et des parterres d’eau. Ou ils font galoper des troupeaux de chevaux devant eux dans la rue. En général, les animaux sauvages ont du succès. Un de mes élèves se promenait toute la journée avec des vols en V de canards au-dessus de sa tête. Un autre, c’était des champs de globes oculaires roulant dans les nuages. Evidemment, je dois interdire pas mal d’obscénités. Lou Tellegen, lui, il a choisi les fantômes.
Je tiens à préciser que je laisse à mes élèves une liberté totale dans le choix de leur sujet. J’interviens pour éviter les hors-sujet, mais c’est tout. C’est Lou Tellegen qui a décidé de se connecter au serveur nécrologique de la ville. Je n’ai pas fait d’objection, c’est tout. Maintenant, est-ce que c’est normal de laisser ce serveur-là en accès libre ?
To be continued…
[Pour ceux qui ont lu la nouvelle, voici les illustrations dont se sert Lou Tellegen]
Lou n’a codé que des œuvres classiques complexes. Pour les femmes mortes, il a détouré l’ange vert de Schwabe accroupi sur une tombe avec une flamme dans la main, la dormeuse du Cauchemar de Füssli, la Femme en blanc de Von Max dans son suaire. Des symbolistes, essentiellement. Pour les hommes, des corps du radeau de la Méduse, des choses plutôt horribles. Au contraire, pour les enfants, des crayonnés de Raphaël très paisibles, des angelots rêveurs. Et pour les gosses de son âge, des anges de Gustave Doré, des gravures. Toute la Divine Comédie bat des ailes là dedans.