[nos amis les gens] L’amour par grand froid
Il y a, dans mon livre L’histoire de France pour ceux qui n’aiment pas ça, un passage que j’ai supprimé parce qu’il est trop triste.
Dans le temps, quand un petit mourait (et un petit sur deux mourait avant un an), s’il n’avait pas été baptisé, son âme se retrouvait dans les Limbes. C’est un endroit triste et froid où errent les âmes de ceux qui n’ont jamais péché mais qui ne peuvent accéder au paradis faute d’appartenir, par le baptême, à la communauté des croyants. Les parents étaient donc doublement frappés, puisqu’ils perdaient un enfant et qu’ils savaient qu’ils ne le reverraient jamais, même après leur mort. Alors, pour se consoler, ils ont inventé les reposoirs à répit.
Il s’agit d’un autel sur lequel est posée une statue de la Vierge. Les parents y allongent le bébé et déposent une plume sur sa bouche. Ensuite, ils attendent que la Vierge accorde ce qu’on appelle un répit, c’est à dire un bref moment de résurrection. Dès qu’un signe de résurrection apparait, comme le mouvement d’un membre, ou bien un souffle qui fait voler la plume, l’adulte présent se précipite et baptise l’enfant. Celui-ci remeurt immédiatement, mais on peut l’enterrer en terre consacrée, au milieu des siens.
Comme tout le monde, je me suis demandé si nos ancêtres aimaient leurs enfants, s’ils y étaient attachés. Considérant combien ils en perdaient, j’espérais que non. Je me disais que les reposoirs à répit eux-mêmes n’étaient pas forcément un signe d’attachement parental. Peut-être que ça faisait simplement mauvais effet, au village, de ne pas pouvoir enterrer ses enfants au cimetière ? Que c’est pour cette raison, une raison sociale, que les reposoirs à répit ont été inventés ? Jusqu’à ce que je découvre ce cas en Lorraine, mentionné comme un record : un répit accordé par la Vierge deux semaines après le décès de l’enfant. Deux semaines… C’est à dire qu’au bout de deux semaines, un cadavre, il faut l’enterrer avec une pelle. Sauf s’il fait très froid. Ce qui signifie, concrètement, que quelqu’un est resté deux semaines à battre la semelle par grand gel près d’un tout petit corps, marchant en long et en large, tapant du pied et soufflant dans ses doigts, attendant et attendant encore, jusqu’à ce que les gaz de putréf^^souffle divin fasse voler la plume. Ce que j’en pense ? Pour tenir deux semaines dehors en Lorraine en hiver, il faut plus que des conventions sociales. Il faut quelque chose qui s’apparente à l’amour. Ce n’est que mon avis.