Vendredi 18h30, métro, il fait chaud et le portable passe mal.
– C’est ce soir, le feu d’artifice ? C’est pas demain ? Chaque année, je me mets en tête que c’est ce soir alors que c’est le lendemain. A moins que ce soit l’inverse. Allo ? Merde, ça a coupé.
Tibidip.
– Allo ? Non, je ne sais pas plus que toi. Bon, je vais appeler Chuchon. Hein ? Merde, ça a recoupé.
Bidipouip.
– Allo, Chuchon ? Tu viens vers 23 h ? On va au feu d’artifice et après on part à la teuf, d’ac ? Au fait, tu peux aller sur Internet pour voir à quelle heure a lieu le feu d’artifice ? Hein ? Et merde.
Vendredi, 21h30.
– On prend la voiture, pour monter au feu d’artifice ?
– Non, y aura trop de monde. On va plutôt prendre les pieds.
Vendredi, 22h30.
– En fait, c’est pas tout prêt. Et ça monte, en plus.
– Et y a personne dans les rues. Si ça se trouve, le feu d’artifice, c’est demain, tu ne crois pas ?
– Je vais appeler Chuchon, parce que je sens qu’on va être en retard.
Ouipouipouip.
Vendredi, 23h00.
– Eh, maman, c’est le bouquet final ?
– Non.
– Pourquoi c’est pas le bouquet final ?
– Parce que le bouquet final, c’est quand on n’a même pas à se demander si c’est le bouquet final.
– Alors, comment je saurai que c’est le bouquet final ?
– Quand tu le verras.
Vendredi, 23h45.
– Eh ben ! Deux heures à pied, c’était pas tout prêt, quand même. On aurait pu prendre la voiture.
– Salut, Chuchon ! Tu ne veux pas regarder sur Internet si on a le temps de boire un coup avant le dernier métro ?
– On ne prend pas la voiture pour aller à la teuf ?
– Non, on risque d’être trop bourrés. On va plutôt prendre le métro.
Vendredi, 1h30 du mat’, métro Sablons.
– Ben c’est pas tout près, l’Ouest parisien. Et maintenant ?
– C’est par là.
– Par où ?
– Là.
– Tu veux dire : dans le bois de Boulogne ?
– Voilà. Après le jardin d’acclimatation.
– A pied, ça fait pas tout près, hein ?
– 500 mètres à peine. Et ce n’est pas tous les jours qu’il y a une teuf techno à Boulogne, alors on jubile au lieu de râler.
Vendredi, 2h00 du mat’.
– Comment ça, annulée ?
– On a eu l’interdiction hier soir. On a essayé de prévenir mais on n’a pas pu joindre tout le monde.
– Je l’avais bien dit, que c’était pas tous les jours, une teuf techno à Boulogne. En tout cas, pas ce soir.
– Vous inquiétez pas : on a monté un son un peu plus loin.
– Où ça ?
– Vous allez à la porte de la Muette et vous tournez à droite.
– La Muette, hein ?
– On aurait dû prendre la voiture.
– Ah, parce que vous êtes pas en voiture ? Alors là, ça fait pas tout près, c’est vrai.
Vendredi, 2h30 du mat.
– Bon, voyons les choses en face : on est grave paumés et on tourne en rond.
– D’un autre côté, on n’est pas les seuls. On est une bonne centaine. Ça console. Bonsoir mesdames !
– Bonsoir les p’tits loups !
– Fait bon, hein ?
– Ouais, mais y a pas un seul client.
– Bonne soirée quand même.
– Qu’est-ce que j’ai soif ! J’aurais su qu’on trouverait rien à boire, j’aurais pris la voiture.
Vendredi, 3h00 du mat’.
– Eh ben voilà ! Du son ! Des teufeurs ! Un stand de capotes ! Si c’est pas la belle vie !
– La belle vie, ça sera quand ils auront ouvert le bar. J’ai une de ces soifs…
– Monter une free en plein bois de Boulogne, mouais. C’est pas là que Sarkozy fait son jogging ?
– Si.
– Alors ça va pas durer. Mais elles collent pas, ces feuilles !
– C’est des riz-la orange. De la daube, les riz-la orange. Les OCB noires, c’est mieux.
– J’ai HYPER soif.
– Hé, vous auriez pas une boulette ? Ca fait une heure que je tourne et personne veut me filer une boulette.
– Chéri, tu aurais une boulette pour le jeune homme ?
– Et des yeufs ? Z’auriez des yeufs ?
– Ouais, mais elles collent pas.
Vendredi, 3h15 du mat’.
– Ayé, j’ai trouvé des bières ! Qu’est-ce qu’y se passe ? Pourquoi y a plus de son ?
– Tu te retournes doucement. Doucement, j’ai dit.
– Oh.
– Ils sont combien, à ton avis ?
– Plus que nous, sûrement.
– Putain, moi je fais de la boxe thaï, alors les ceureureuss, je les prend d’une main et je leur pète le fémur ! Qu’y z’y viennent !
– Mais oui, Sammy. Bois pas tout, en attendant.
– C’est un peu un cul de sac, ce coin, non ? Je veux dire, s’ils chargent…
– Un peu beaucoup, ouais. Tu sais, Sammy, c’est pas forcément le bon moment pour en rouler un.
– Le fémur ! Et l’tibia dans la foulée !
– Oui mais, Sammy, on n’a pas tous fait de la boxe thaï.
Vendredi, 3h30 du mat’.
– Qu’est ce qu’on fout là ? C’est tout pelé, tout moche, tout plein de CRS et j’ai hypersoif.
– On observe de loin.
– De quoi de loin ? Des CRS ?
– De ce connard de Sammy ! On observe au cas où les CRS chargent.
– Et s’ils chargent, on fait quoi ?
– On, euh, on pourra témoigner.
– Témoigner ? Où ça ?
– Ben, euh, au procès ? Enfin ch’ais pas, mais ça s’fait pas, de s’barrer maintenant. Faut faire masse le temps qu’ils rembarquent le son.
…
– C’est pas le moment de rouler, hein ?
– Dans la mesure où on a une de leur lampe de poche dans l’œil, non.
– Sinon, vous avez vos papiers sur vous ?
– Evidemment.
– Et, euh, vous avez…
– Dans mon slip.
– Ah. Bien. Très bien.
…
– Bon, ils ont remballé le son, le camion démarre… le camion passe… on y va ?
– C’est pas hyper-orthodoxe, comme soirée, mais j’aime bien.
– N’empêche, quel con, ce Sammy.
Vendredi, 4h du mat’.
– C’est joli, ici. C’est bucolique, y a des arbres, un lac, tout ça. On n’aurait pas si soif, ça serait le bonheur.
– On est où ?
– Dans le bois de Boulogne.
– Merci.
– Respirez le bon air de la campagne !
– Ca sent un peu la vase, quand même.
– Mais jamais elles collent, ces feuilles ?
– On est encore paumés, non ?
– Je crois qu’on a pris à gauche au lieu d’à droite.
– Oh ! Des lapins ! C’est mignon, les lapins.
– C’est surtout très con.
– A gauche ça rallonge un peu, mais après quatre heures de marche, une de plus, une de moins, hein ?
– C’est quoi, ce truc qui brille ?
– La tour Eiffel.
– Tiens, j’vais aller les buter, ces cons d’lapins.
Vendredi, 4h15 du mat’.
– Chuchon ! Tu viens ? Fous leur la paix, à ces lapins. Ils courent plus vite que toi, n’importe comment.
– Moi, quand j’étais petite, j’avais un lapin gris nommé Antoine. Il était hyper-con.
– C’est vrai que c’est pas très affectueux, un lapin. Pourquoi ça sent le cochon grillé, quand je fume ?
– Ca doit être un de mes poils de uc qui crame.
– BERK !
– Ah c’est ça, les soirées pas orthodoxes.
Vendredi, 4h30 du mat’.
– Qu’il n’y ait pas un seul taxi, d’accord, mais pas une seule voiture du tout, ça commence à m’inquiéter.
– C’est qu’il viennent de boucler le quartier à cause du défilé de demain. C’est à dire : de tout à l’heure.
– Tu crois ?
– Ou alors, c’est que la 3e guerre mondiale est déclarée depuis cette nuit.
– Hein ?
– Tu vois les gros trucs, là bas ? C’est des chars d’assaut. Soit ils sont là pour défiler, soit ils sont là pour raser la ville.
– Ah, merde.
– Faut remonter Porte Maillot, y a pas.
– C’est pas tout près.
Vendredi, 5h du mat’.
– C’est Dieu qui vous envoie, monsieur le taxi !
– Non, c’est ma fenêtre avant droit qui coinçait. Sinon, je ne me serais pas arrêté : c’est plein de militaires, dans le coin.
– On rentre, on achète des croissants au beurre et on ouvre la bouteille de champ’ !
– Ouais ! Et un bon café bien chaud.
– Et des tartines au beurre salé ! T’as du beurre salé ?
Vendredi, 7 h du mat’.
– M’en voulez pas mais j’vais m’coucher.
– On l’ouvre, cette bouteille ?
– Burp. Très franchement, je vais prendre un verre d’eau, plutôt.
– C’est bad que la boulangerie, elle était fermée. Tu veux une tartine ?
– Non merci, en fait.
– N’empêche, c’était pas hyper-orthodoxe, comme soirée, mais j’ai bien aimé. Par contre, c’était quand même pas tout prêt.
…
– Et qu’est-ce qu’il était con, ce Sammy.
– Autant que les lapins.