Ulalee voulait résoudre le meurtre. Elle pensait y parvenir en résolvant des meurtres. Elle voulait établir la taxonomie du meurtre. Toutes les explications comportementales ou sociales ne la satisfaisaient pas complètement.
Au cours de sa carrière, elle avait appris des choses sur le meurtre. Elle avait appris que les femmes tuaient sous l’empire de la colère, de la peur ou de la défonce. A jeun, elles tuaient pour voler, mais aussi simplement pour jouer les grosses chattes. Elles tuaient le plus souvent parce que c’était plus simple que de réfléchir.
Elles tuaient plus volontiers des membres de leur entourage, et surtout leur homme. Une femme tuait son homme parce que l’autre petite bite ne l’avait pas bien sautée, ou parce qu’il en regardait une autre, ou parce qu’il voulait la quitter.
Les femmes tuaient les hommes parce qu’elles détestaient la façon dont ils élevaient les gosses, ou la façon dont ils faisaient la bouffe. Elles les tuaient parce qu’elles avaient envie de baiser leur beau-fils, ou de claquer leur paie au jeu, et qu’elles n’avaient pas envie de se retenir. Elles tuaient les hommes brutalement, sans sommation, parce qu’il fallait les prendre de vitesse.
Les femmes tuaient les hommes parce que les hommes leur faisaient peur, parce qu’ils avaient plus de muscles qu’elles et que ça les rendait dangereux. Elles les tuaient parce qu’elles avaient peur de cette masse corporelle qui leur faisait défaut. Et aussi parce que leur membre viril capricieux les dérangeait. Parce qu’il servait à la fois à pisser, à jouir et à donner la vie et qu’elles trouvaient ça dégueulasse. Parce qu’elles le jalousaient.
Les femmes tuaient les hommes sous n’importe quel prétexte parce qu’elles les traitaient mal et se sentaient merdeuses. Les hommes, eux, tuaient les femmes pour se défendre.
Parfois, Ulalee observait que certains hommes s’attachaient aux femmes les plus évidemment dangereuses. Comme s’ils aspiraient à leur propre martyr. Cet aspect-là de la situation n’intéressait pas Ulalee. Confondre la victime et le bourreau constituait un défaut que vingt ans de carrière lui avait fait passer, si elle l’avait jamais eu.
Ulalee voulait comprendre le meurtre pour apprendre à l’éviter. Ca n’avait rien à voir avec une quelconque volonté de puissance ; elle voulait protéger les hommes. Elle aimait les hommes, tous les hommes. Elle avait pour eux un faible contre lequel son réalisme lui même ne pouvait rien. Elle ne voulait pas qu’ils continuent à être les victimes qu’ils étaient. Elle voulait participer à cette lutte-là, à son niveau.