L’histoire
En 2322, dans un pensionnat de luxe, une poignée de très jeunes gens s’ennuie. Pour s’occuper, ils vont réinventer une musique… bruyante. Mais les monos ne l’entendent pas d’une bonne oreille. Fuyant la pension, le leader du groupe se réfugie dans les bas-fonds de Shanghaï. De là, il va donner aux damnés de sous terre les mots et le tempo d’une révolution.
Le propos
« On était en train de causer tous les deux quand ce type m’est tombé dessus – un ancien de renmin ribao, un pauvre gars. Famille décimée par la police politique, il avait traîné dans les territoires morts, passé du temps en prison, c’était un ancien combattant de la révolution et il m’a dit : « Tout ce temps, c’est votre musique qui m’a soutenu ; c’est elle qui m’a permis de ne pas devenir fou. » Il avait tenu dans la solitude, l’obscurité et les tortures en se repassant en boucle le refugee te guette, monde de fou et ailleurs et maintenant. Les combattants se refilaient des mémoires clandestines de nos chansons. Ca coûtait deux mois de prison la minute. Yep ! En quartier politique, si tu te faisais choper avec ça, c’était le tarif. Pour une minute de musique. Une minute de notre musique. Le type était bien esquinté, bien marqué, mais il me regardait comme – il essayait de me décrire son admiration. C’est là que j’ai saisi la force de ce qu’on avait fait. Ce qu’on avait pu représenter malgré nous. J’ai été ému, hé ! Non-on, je ne m’étais pas douté un seul instant ! Pas sur le moment. Si ça m’a flatté? Ca m’a flatté, ouiii, c’est ça. Ha ha ! Tandis que je me bourrais la gueule en gloussant connement, au chaud au fond de mon studio, d’autres risquaient tout pour nous sauver tous, voilààà ! Et ensuite, ils sont venus nous remercier de ce qu’on avait fait pour eux ! Je me sens trop flatté, c’est le mot. Voilà le mot. T’as raison. » (p. 367)
Temps de rédaction
Deux ans. Six mois de bonheur, un an et demi d’ajustement technique. Le style parlé, c’est moins facile qu’on le croit.
Titre original
No punk. Et puis, j’ai pensé à Outrage et rébellion. On m’a dit : « Ca fait Jane Austen ». Quel manque de culture militante…
Pourquoi, mais pourquoi ?
… est-ce une succession de petits bouts d’interviews de plus de cinquante intervenants qui ont soixante mots de vocabulaire (dont la moitié sont des gros mots) à eux tous ? Parce que j’ai lu Please kill me de Legs McNeil et Gillian McCain aux éditions Allia et que je ne m’en suis pas remise. Please kill me est une histoire du protopunk, celui qui n’a pas réussi sa révolution face à Reagan et Thatcher. J’ai décidé d’imaginer la même histoire, mais qui finit bien. …est-ce que l’histoire se déroule à Shanghaï ? Parce que je reste persuadée que c’est le futur coeur du monde. Et je ne pense pas qu’il faudra attendre 2320 pour ça.
Personnages de référence
Si vous voulez vous représenter les personnages, voici à quoi ils ressemblent mais en version jeune, très jeune, et asiatique (cliquez sur les images si vous voulez savoir à qui chacun correspond dans une certaine réalité).
Musiques et textes de référence
- Dédicace à Cui Jian, au Contingent de l’ennui, à X-Japan, à tout le rock chinois et japonais et, bien sûr, à Hideto Matsumoto.
- Dédicace aussi à Television, les Ramones, le Velvet, les Stooges, le MC5, les Voidoids, les Dead boys et les Heartbreakers dont les accords suaves m’ont bercée pendant deux ans.
- Une pensée émue pour tous ceux de la blank generation : Connie Ramone, Dee Dee Ramone, Johnny Ramone, Joey Ramone, Eddie Sedgwick, Andy Warhol, Sid Vicious, Ron Asheton, Nico, Jerry Nolan, Nancy Spungen, Billy Murcia, Johnny Thunders, Cyrinda Foxe et pas mal d’autres.
- La chanson Mais que peut faire un pauvre pensionnaire est un décalque de Street fighting man.
- Mâche pas ma viande est un décalque de Caught with the meat in the mouth des Dead boys, foutus poètes.
- Maintenant j’ai plus qu’un seul pied est de Matmatah.
- Confortablement enterré est de Pink Floyd.
- L’instinct de conservation est de Killing joke.
- Au nadir du descenseur est au coin de la 53rd and 3rd à New York, là où tapinait Dee Dee Ramone.
- Le refugee te guette est de Passi.
- Respire est de Sia.
- Ad lib.
- Les vieux textes occidentaux dont il est question sont, outre la Venus in furs chère au Velvet Underground, le livre La guerre n’a pas un visage de femme de Svetlana Alexievitch dans lequel sont réunis des témoignages de combattantes russes de la seconde guerre mondiale. C’est assez fort :
Pastèques
Linerion : Marquis m’avait parlé de vieux récits qu’un de ses potes de pension’ lui avaient filés. Ca m’a donné l’idée d’aller écouter des vieilleries familiales ! Des récits russes. Je me souviens d’une femme qui avait fait la guerre. Une vieille guerre, une guerre à l’air libre. Elle disait que les marins – les gus qui allaient sur la mer – portaient des revêtements en Coton rayé. Quand ils mouraient à la guerre, leurs cadavres enflaient dans le Coton rayé. Elle disait que tous ces corps ronds et rayés, côte à côte, ça ressemblait à un champ de Pastèques. Et les autres soldats, ça les faisait saliver, toutes ces Pastèques. Cette vision d’un champ de Pastèques, ça les faisait saliver, même s’ils savaient ce que c’était. Parce qu’ils avaient faim ! J’ai passé des heures à penser à cette scène. « Et qu’est-ce que ça fait, d’aller sur la mer ? ». « Et pourquoi un marin meurt à terre ? ». « Et comment c’est, un maillot en Coton rayé ? ». « Et une Pastèque ? ». « Et un champ de Pastèques ? ». Dans toute cette histoire, la seule chose que je connaissais, c’était la faim ! Et d’un coup, ça m’est venu à l’esprit, que ce n’est pas le soleil qui est terrible. Que c’est nous. Que c’est le soleil qui a peur de nous. Qu’il ne veut plus voir de champ de marins rayés morts. Que c’est pour ça qu’il nous a chassés de devant sa face. Après, chaque fois que j’ai eu faim, ça m’a travaillé. (p. 369)
- Les acteurs et les Rats des caves portent des noms de syndromes génétiques (De Lange, Miller-Diker, Atrésie des Choanes, Klinefleter, Fukuyama, Ivemark, Noonan). C’est exprès. Les scientifiques, eux, portent des noms ayant trait au génie génétique (centimorgan, double-brin). C’est aussi exprès. D’ailleurs, tout est exprès. Et en scrutant le générique de fin, on peut voir que certains anciens combattants ont su se recycler dans la grosse transnationale. (Sauf tragaluz, évidemment, qui est retourné dans son caisson.) Sic transit.
Les critiques et interviews
Grâces soient rendues à Manu de Scifi-Universe, Bruno Para de la Noosfere et Henri Bademoude ainsi que François Schnebelen de la Yozone. De même à Littérature et santé.
Voici la première page
Ashto
La vie en pension’ était pas pénible. Elle était ennuyeuse, c’est tout. On y arrivait vers quoi, sept ans ? Et on en sortait quand papa le décidait. Vers vingt ans. On manquait de rien, là dedans. Y avait même des grands Espaces Verts et toute cette merde. C’était une vie de luxe, pas de doute. Mais on était pas tellement au courant, haha !
Drime
Je suis arrivé en pension’ vers sept ou huit ans, comme tout le monde. La pouponnière m’a longtemps manqué, j’ai pleuré pendant des jours. Et puis je m’y suis fait. Il y avait de l’espace, du grand air, une turne pour moi tout seul, et rien d’autre à faire qu’à s’orner l’esprit, comme disaient les monos. C’est à dire qu’ils nous abrutissaient de travail, avec toutes sortes d’enseignements utiles pour futurs héritiers de grandes fortunes, oh oui ! Des disciplines tradi, les fameuses disciplines ancestrales : le nô, le manipuri. Ancestral, tu parles ! Mon père est sibéro-maori, alors franchement, le nô, qu’est-ce que les mânes de mes ancêtres pouvaient en avoir à foutre ?
Fado
Ils nous faisaient trimer : réveillés tôt, couchés tard et entre les deux, ils nous lâchaient pas mais amicalement, hein ? Tout était amical. Cela dit, même amicalement, c’est pas facile d’expliquer à un ado à quel point le gaomi est un truc passionnant – tu sais, c’est juste des cocottes en papier plié, des putains de cocottes tradi – alors pour qu’on marche quand même dans leur amitié, les monos nous montaient les uns contre les autres ; ils organisaient tout le temps des « concours amicaux », des « compétitions amicales », des tas de machins amicaux au sujet de n’importe quoi, le saut à la perche ou la poésie malaise ; avec, à chaque fois, une célébration débile pour remettre la médaille au vainqueur, et la plupart des pensionnaires était à fond là-dedans – dans les médailles. Vraiment à fond.
Drime
Nous faisions du sport, bien sûr ; beaucoup de sport. Nous étions là pour ça, n’est-ce pas ? Surtout de l’entraînement cardiovasculaire, de la course de fond ou de demi-fond. Sérieusement, existe-t-il quelque chose de plus ennuyeux que la course de demi-fond ? Mais nous faisions ça à l’air libre, avec une simple combinaison à rayons durs, un masque filaire et de l’Herbe jusqu’aux mollets, parfaitement ! De la vraie Herbe, avec de la Chlorophylle. Et nous trouvions ça normal, absolument.
Ashto
J’ai d’abord été en pension’ à coahuila. Dans le désert de chihuahua. Mais je supportais pas le climat. On m’a envoyé à karakul. Dans les conglin. Et vous savez quoi ? C’était la même merde. Une pension’ de luxe sous un filtre à rayons durs. Des cours à la con. Et autour, des kilomètres de désert comme des barreaux. Pas moyen de foutre le camp à pied. Et on avait que nos pieds pour bouger, haha ! Mais je me demande si c’était nécessaire, ces kilomètres de désert. On connaissait rien, mais rien au vrai monde. Il nous faisait peur. La trouille nous tenait en cabane mieux que mille bornes de caillasse.
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