Le sourire cruel des trois petits cochons

Le sourire cruel des trois petits cochons

in revue Faërie n° 10, Ed. Nestiveqnen, 2003.

A mon fils aîné, que les trois petits cochons faisaient crever de peur.

 

C’était une affaire mesquine, et inconfortable : il s’agissait de prendre sur le fait un de ces types qui hantent les cimetières et jaillissent derrière les croix, sous les yeux moroses des veuves, en agitant comme une pipette une érection plus triste qu’un chrysanthème. Le lieutenant Nguyen se retrouva donc de faction, un matin de février, au cimetière de Denfert. Piétinant la boue glacée et soufflant dans ses doigts, il étudia longtemps le terrain avant de se décider à planquer dans un bosquet de sureaux décharnés, qui le couperait à la fois de la vue et du vent. Sous le bosquet poussait une stèle lépreuse sur laquelle il s’assit. Il appuya son dos contre une brassée de branches élastiques et mouillées, alluma son clope, torcha son nez goutteux et se mit en mode « veille ».
Ca dura longtemps. Parfois Nguyen se grattait le mollet, sans même s’en rendre compte, parce que de fines tiges de ciguë commençaient à pousser contre lui. Un tapis de serpolet moussait sous ses semelles, derrière lui le sureau feuillait et fleurait comme un fou.
Le lieutenant inspecta l’intérieur de son paquet de Philip Morris : ça faisait quinze mégots qu’il se gelait les couilles pour rien. Il écrasa le seizième contre l’écorce pelée. De fines branchettes se nouèrent à ses chevilles, il se douta de quelque chose quand il dût écarter une poignée de feuilles pour observer un nouvel arrivant d’allure suspecte (l’individu s’était embusqué derrière la tombe de monsieur Taillevent Sylvain, 1937-1995, Père regretté, et baissait lentement son pantalon…).
Les feuilles se refermèrent sur sa main, comme un gant vert.

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