Le goût de l’immortalité

Le goût de l'immortalité

Illustration de Caza
Editions MNEMOS
(Coll. Icares, Octobre 2005, prix : 17,5 €)
256 pages, ISBN 2-915159-52-1

Le propos

En 2304, une vieille dame guindée raconte sa folle jeunesse au début du XXIIe siècle, du temps où on trouvait encore du plastique pétrolier, où les femmes portaient des implants mammaires, où on bronzait à l’air libre…

Tout le propos du livre tourne autour d’un seul enjeu : pour vivre éternellement, jusqu’où sommes-nous prêts à aller ?
Par exemple, quand il sera possible de faire naître et grandir des doubles de soi-même en prévision du jour où une autogreffe de coeur ou de poumon sera nécessaire, qui hésitera vraiment avant de débiter ses propres clones en morceaux pour vivre un peu plus longtemps ?

Et à quoi pourrait bien ressembler une planète dirigée par d’inusables vieillards ?

L’histoire

Il y a « de l’enfant mort, de la femme étranglée, de l’homme assassiné et de la veuve inconsolable, des cadavres en morceaux, divers poisons, d’horribles trafics humains, une épidémie sanglante, des spectres et des sorcières, plus une quête sans espoir, une putain, deux guerriers magnifiques dont un démon nymphomane et une, non, deux belles amitiés brisées par un sort funeste, comme si le sort pouvait être autre chose. » (p. 10)

Temps de rédaction

Un an et demi. Et tout à la main sur Papier d’Arbre au fond d’un bar enfumé en buvant de la Bière.

Titre original

C’était cimetière hurlant. Puis cimetières hurlants. Et là, j’ai eu le malheur de demander conseil aux copains (jeff, florent, rené-marc). Ca a donné

  • Le vaudou est toujours dehors,
  • Ta mère fait du 85 A,
  • Le retour de la baignoire de la mort,
  • L’acupuncture lutte.

Alors je me suis vengée. Déjà, j’ai donné le nom de famille de rené-marc au plus crétin de mes personnages. Bien fait.
Pour les deux autres, j’ai plein d’idées.

Pourquoi, mais pourquoi ?

… y-a-t-il des majuscules aux termes qui désignent des Plantes ou des Animaux, et pas ailleurs ?
Parce que la couche d’ozone étant Mitée, il ne reste rien de la Nature. Forcément, ça sacralise. Disons que c’est un artifice pour forcer l’effet de réel. Tout le problème, après, c’est de se remettre à écrire normalement. C’est Bête, hein ?

…est-ce que l’histoire se déroule en mandchourie ?
Parce qu’en 2113, l’europe et les états-unis seront la banlieue pourrie du monde, et que la mandchourie a ceci de plaisant qu’elle tient la frontière entre la russie, la chine et pas mal d’autres voisins réputés, eux aussi, pour leur caractère paisible et pacifique. C’est un endroit où on ne s’ennuie jamais.

… le monstre habite-t-il au 42ème étage ?
Comme question, c’est Coton.

Visuels de référence

Personnages
La narratrice, une vilaine petite fille, ressemble en effet à ça. Son comparse, cmatic, ressemble à n’importe quel bellâtre blondinet, son meilleur ami se nomme shi et la petite amie de celui-ci, cheng, ressemble à ça. Le démon de l’histoire, path, ressemble à ça. De shi, je ne peux rien montrer : l’original, je l’ai croisé une fois dans le métro. C’était un mix blanc-jaune aux cheveux longs, il s’occupait d’une petite fille insupportable avec beaucoup de calme, il n’était pas beau mais il était franchement magnifique. Idem pour l’étrange voisine du dessus, iasmitine : elle a le physique d’une de mes anciennes collègues, du temps où je vendais des Perles noires à tahiti, une demi (moitié maori moitié chinoise) dont je n’ai aucune photo.
Quant à la dédicataire, c’est ainademar.
Décors
Voici le bundécharpe brillante de shangaï, et ha rebin. Et enfin voici un pipa, l’instrument dont joue cheng.

Textes de référence

La première phrase de mon roman (Mon cher marc…) est la première phrase de mémoires d’hadrien et la seconde est imitée de la lettre 75 des liaisons dangereuses (La voilà donc vaincue, cette femme superbe qui avait osé croire qu’elle pourrait me résister ! Oui, mon amie, elle est à moi, entièrement à moi; et depuis hier, elle n’a plus rien à m’accorder.).

En ce qui concerne marguerite yourcenar, c’est normal : j’ai essayé de donner à mon livre le même rythme lent que le sien. Par contre, pour laclos… en fait, si, c’est normal aussi : mon héroïne a à peu près autant de sens moral que valmont, c’est à dire un peu moins qu’un designer de mines antipersonnelles.

Pour la couleur locale mandchoue, je recommande la joueuse de go et pour shangaï, mort d’une héroïne rouge, le seul polar avec un bon 33% de poèmes inside.

Merci à romain gary pour l’idée du jus d’âme, et chapeau à barbey d’aurevilly pour sa lasthénie de ferjol, summum de mauvais goût dans un siècle qui avait pourtant déjà battu tous les records en la matière. Obscène, faux-cul et grandiloquent, d’aurevilly aurait décroché la médaille du plus grand bouffon littéraire du XIXe siècle si les deux frères goncourt n’avaient pas existé. Plus bourré que zola, plus dépressif que huysmans, plus réac que michelet, il finit par toucher au sublime dans le cachet d’onyx où le héros, après avoir battu sa femme avec le coeur momifié de leur fils, lui remplit la foune de cire à cacheter fondue. Et le tout à l’imparfait du subjonctif et pour l’élévation du vulgaire, s’il vous plait.

Pour la petite histoire, quand cmatic dit :
« Après tout, on vit des temps déraisonnables où on voit des morts à table et où on prend les Loups pour des Chiens. La pièce est-elle ou non drôle ? Moi, si j’y tiens mal mon rôle, c’est de n’y comprendre rien »(p. 218)

La narratrice commente :
« Oui, cmatic a bien tenu ces propos, mot pour mot : j’ai mis longtemps à découvrir qu’il citait un poète de chez lui. Non, ce n’est pas shakespeare » et en effet, il s’agit de aragon.

Les critiques

En voilà une belle de Jean-Jacques Régnier et une cafardeuse du Cafard Cosmique. Et puis Philippe Curval en a parlé dans le Magazine Littéraire de Janvier 2006, et Jacque Baudou dans Le Monde.
Merci à eux, je suis fière comme tout.

Les prix

Le Bob Morane et le Rosny 2006.
Et puis le Grand prix de l’imaginaire 2007 et le Prix du lundi. Wa.

Voici la première page

Mon cher marc, le voilà donc achevé, ce travail qui avait osé croire qu’il pourrait me résister ! Et depuis hier, je n’ai plus rien à y ajouter. Il ne me reste qu’à le livrer à mon client, et à lui souhaiter bonne lecture : les « Arrêts du Tribunal de Grande Instance de Paris – France – Europe – 1985-1995 » sont d’un ennui sans fond. Je suis certaine que les gens qui ont rédigé ces minutes de procès ne se sont pas plus amusé à le faire que moi, à les traduire. Leur seul intérêt réside dans quelques sentences qui concernent david dolhen. Elles sont d’ailleurs assez laconiques, le futur martyr de la cause suburbaine ne se présentait pas souvent devant ses juges.

Vous devez connaître mon client : c’est phadke-ashevak, l’affairiste ministrable. Je me demande pourquoi ce vieil indo-inuit conservateur se passionne pour les restes pénaux d’un repris de justice nord-occidental disparu depuis des siècles. D’accord dolhen a vécu vite, il s’est bien battu et il est mort jeune : ça fait rêver.

Peut-être que monsieur phadke-ashevak aime collectionner ses propres antithèses. Ou alors, ce n’est encore qu’un de ces hommes qui ne savent plus où investir leur fortune et qui accumulent les données anciennes au même titre que les tours, les femmes, les organes ou les astéroïdes. Mais changeons de sujet ; je vous ai assez expliqué à quel point il est ingrat d’essayer de transposer en mandarin moderne le français juridique et pourquoi nos machines, si douées qu’elles soient, ne réussissent à livrer qu’une traduction bancale dont je dois rétablir le sens ligne par ligne. Et encore, le résultat final est une arnaque sémantique. Il faut être phadke-ashevak pour ne pas bêler de rire à l’idée d’établir une véritable équivalence de sens entre la mentalité d’antiques juges blancs et son cerveau d’asiatique contemporain. Autant prendre le mahabarata et le traduire en termes de densité de matériaux. Cependant, je ne peux pas me plaindre de l’inculture crasse de gens comme phadke-ashevak : j’en vis.

Cette lettre, qui promet d’être longue, est une réponse à votre requête en deux mots : vous voulez me voir en vrai. Cette expression me fait rire. Nous passons tant de temps dans des décors virtuels, à piloter nos avatars, que la réalité matérielle n’est plus qu’un pont étroit entre deux 3d. Elle en arrive à prendre des allures de boudoir intime et je sens, dans le ton de votre demande, une gêne d’amant qui espère ne pas paraître trop empressé. Excusez-moi de rire : je viens d’un temps où se rencontrer en vrai était plutôt simple et ne se compliquait pas toujours d’érotisme. D’ailleurs, il ne s’agit peut-être pas d’érotisme de votre part ; les fantaisies sexuelles s’épuisent très bien via le Réseau et ne nécessitent aucun contact en vrai. Il y a, dans votre demande, un appétit de l’autre qui va au-delà de ce que deux centenaires pourraient tirer de leurs corps faits et refaits, et que tous nos échanges virtuels n’ont visiblement pas satisfait. Vous exigez l’Être en entier, en quelque sorte. C’est courageux. J’ai donc décidé de l’être à mon tour et de vous faire une série d’aveux. C’est le nom qu’on donne aux explications quand elles sont pénibles. Le premier aveu est assez facile : je n’ai pas, comme vous, comme vous croyez le savoir et comme mes données civiles le disent, un petit siècle.
J’en ai un peu plus.
Pour le moment, vous n’avez qu’à y voir de la coquetterie.
Le second aveu est moins facile : je ne suis pas faite et refaite. Ni génétiquement, ni organiquement, ni prothétiquement. Je sais quelles images vous viennent à l’esprit en ce moment : celles des vieillards d’autrefois, ces pauvres épaves tordues par la sénilité sous un Cuir mité, coupées du monde par la déliquescence de leurs capteurs et dont l’esprit hantait plaintivement une cervelle spongieuse. Vous n’y êtes pas du tout.
La réalité se laisse un peu moins mal regarder, mais elle est pire.

Enfin, deux extraits de la version collector.

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