Le Marteau des sorcières, de Sprenger et Institoris
1486
« Henri Institoris gratta le bout de son nez gelé : il faisait un froid d’otarie dans le scriptorium et les chandelles fumaient. Il posa sa plume, souffla sur ses doigts gourds, bailla, regarda son compagnon qui classait avec soin les dernières instructions de Sa Sainteté derrière son lutrin, et se repencha sur son pensum :
« Il y a comme un défaut dans la formation de la première femme »
…et là il s’agissait d’être subtil, parce qu’on ne critique pas Dieu comme ça…
« puisqu’elle a été faite d’une côte courbe »
… à part les charcutiers, ça ne vexerait personne…
« c’est à dire d’une côte de la poitrine »
… Innocent VIII avait l’esprit un peu confus : ne pas hésiter à être très clair…
« tordue et comme opposée à l’homme. »
…c’était le principal.
Institoris soupira d’aise : le reste suivrait facilement.
« Il en découle aussi de ce défaut que, comme un vivant imparfait, elle déçoit toujours. »
Il avait des exemples très concrets.
Il leur devait sa tonsure, d’ailleurs.
Mais comme il n’était pas fatigué de la vie, il les gardait pour lui.
(Une vague réminiscence de corset brodé enserrant des seins tièdes passa dans le scriptorium, laissant derrière elle une fine buée de chaleur. Institoris chassa la vision d’un signe de croix agacé (Ca ne va pas recommencer, hein ?).)
Il gratta avec rancune :
« Toutes choses de sorcellerie proviennent de la passion charnelle, qui est insatiable en les femmes. »
Pas terrible comme formule, songea-t-il en suçotant le bout de sa plume. Il toussota :
– Avez vous songé au titre de notre ouvrage, mon frère ?
Sprenger le punaisa de ses yeux fous :
– Oui, fit-il d’une voix sépulcrale (Je crois qu’il en rajoute, mais je n’en suis pas certain. Hélas.).
– Oui ?
– L’ange m’a visité. Et m’a révélé le nom de notre œuvre.
– …(Ce type est complètement givré.) Et c’est ?
– Malleus Maleficarum.
1486. Malleus Maleficarum. Le Marteau des Sorcières. »
(Page 137, chap. Rafale de bulles)
Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons
Manuel de démonologie de monsieur de Lancre
1612
« A son arrivée, Lancre trouva une petite communauté de femmes de pêcheurs assez primesautière. Privées de tutelle masculine six mois par an, elles se saluaient en contrefaisant des grâces de dames nobles, se coiffaient les unes les autres avec art, et passaient leurs soirées à danser au son des tambourins. Assidues aux offices religieux, notait fébrilement un Lancre horrifié, elles manquaient cependant complètement de la réserve qui sied à leur sexe, surtout quand il est livré à lui même, et étaient bien fières pour des vilaines, et, et… il qualifia l’éclat de leur chevelure de violent, et leurs yeux de dangereux, autant en amour qu’en sorcellerie.
La messe était dite.
Elles furent toutes arrêtées, et longuement torturées. Lancre, le coude bien calé sur le Malleus et les yeux exorbités, exigeait des détails, encore des détails, toujours des détails, de quelle manière elles embrassaient l’anus du diable, de quelle manière il les fouettait, comment elles dansaient nues, si elles s’accouplaient avec leur mère ou avec leur fils ou les deux et surtout, surtout, si le sexe du diable était gros (Oui, mais gros comment ?) et glacial (Oui, mais froid comment ?) et couvert d’écailles (Oui, mais genre anguille ou genre thon ?).
L’heure n’étant pas encore à la psychiatrie, cinq cent personnes furent brûlées et Lancre s’en retourna à Bordeaux, un peu congestionné, rédiger deux manuels de démonologie qui furent d’immenses succès de librairie. »
(Page 145, idem)