Lovestar [chronique]

lovestar

Ed. Zulma , Paris, 2015, 428 pages, 21,50 euros

Pas parue dans le Monde Diplomatique, une chronique du très bon LoveStar. De la S.F. écrite en 1984 en grignotant du Soylent green.

Andri Snaer Magnason est connu pour son activisme écologique, notamment à travers le documentaire Dreamland (2009, Ground Control Productions) centré sur la crise environnementale et financière qui sévit en Islande. LoveStar, son premier roman, se déroule lui aussi en Islande. Il suit les trajectoires imbriquées de LoveStar, self made man génial, et du couple que forment Indridi et Sigridur, Roméo et Juliette des aurores boréales.

LoveStar est un homme d’affaires implacable, hélas habité par des Idées dont il se débarrasse sur notre pauvre monde. Il a transformé l’humanité en une population d’« hommes sans fil », accablés de publicité et dépouillés de toute vie privée : « Un homme sans fil et sain d’esprit n’avait rien à cacher (pas plus qu’il ne pouvait du reste se mettre à l’abri où que ce soit). Si quelqu’un venait à écraser les papillons enregistreurs qui voletaient partout dans les airs, les gens s’interrogeaient : Quel secret cache-t-il donc ? Et la rumeur allait bon train. » Dans ce monde, les enfants rétifs sont « rembobinés » à cinq ans – comprenez : proprement assassinés et remplacés par un bébé tout neuf : « Il pèse plus de quatre kilos ! S’exclama l’infirmière avec un sourire bienveillant. Toutes mes félicitations ! J’espère qu’il sera plus réussi cette fois-ci. » A l’autre bout du fil, les personnes âgées sont conduites par cars entiers à LoveMort, une rampe de lancement qui expédie leurs restes en orbite – et tant pis pour ceux qui tardent à devenir des restes. Bien sûr, il est toujours possible à un homme sans fil de se déconnecter de ce cauchemar : « On pouvait toujours décrocher son téléphone et appeler le 234.415.333.333 pour ouvrir le robinet de la baignoire […], composer la même série terminée par 537 pour tirer la chasse d’eau, appeler le 395.506.432.664 puis entrer le code à cent chiffres pour neutraliser l’alarme et enfin, ouvrir sa voiture. » « Mais quoi ? » Soupirent tous les employés de LoveStar : « Si nous ne le faisons pas, quelqu’un d’autre s’en chargera. » Soit le refrain de tous les capitalistes, ainsi que de tous les types en haut des miradors.

Au large de cette folie, le doux Indridi (« autiste récalcitrant à toute forme de marketing ») et la délicieuse Sigridur vivent un amour sans failles. Jusqu’à ce qu’un des logiciels fous de LoveStar (« InLOVE ») décide qu’ils n’ont rien à faire ensemble. Erreur de calcul ? Impossible. A moins, bien sûr, qu’il ne subsiste, dans la belle chaîne logicielle, cet impondérable agaçant qu’on nomme « ingénieur informaticien ». Et que celui-ci n’en pince pour Sigridur…

Alerte, inventif, cousu d’un mince fil d’humour grinçant (« la ligne de produits No Design avait connu un succès fulgurant et se vendait dans des milliers de boutiques soigneusement « hors normes » partout dans le monde. »), LoveStar se veut d’abord une satire vertigineuse de notre société en proie au big data et à son marketing concentrationnaire. Mais si le propos de la science-fiction est de projeter sur le tissu social, comme une lanterne magique, les nouveautés scientifiques avant qu’elles ne sortent des laboratoires, alors LoveStar est un grand, un abominable livre de science-fiction. Commencé avec des rires et des chants, il nous entraîne inexorablement quelque part entre Soleil vert et 1984.

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